Comité Européen des Droits Sociaux, CESS le 10/11/2014, n° 86/2012

Condamnation des Pays-Bas par le Comité européen des droits sociaux pour non-respect du droit au logement des personnes en demande d’hébergement d’urgence

Jurisprudence · Date de publication : 11/09/2015 · Date de modification : 14/03/2023

Droit à l'hébergement

Le 10 novembre 2014, le Comité européen des droits sociaux rend public deux décisions dans lesquelles il conclut à la violation par les Pays-Bas du droit au logement dès lors que l’Etat ne respecte pas ses engagements consistant à prendre les « mesures destinées à prévenir et à réduire l’état de sans-abrisme en vue de son élimination progressive » (article 31 §2 Charte sociale européenne) ; à respecter le droit à la protection contre la pauvreté et l’exclusion sociale (article 30) ; le droit à l’assistance sociale et médicale (article 13 § 1 et 4) ; et le droit au logement des travailleurs migrants et de leur famille (article 19 §4c).

FEANTSA c/ Pays-Bas, 10 novembre 2014, réclamation n°86/2012

Dans cette première réclamation soumise au Comité par la Feantsa (Fédération européenne d’associations nationales travaillant avec les sans-abri), il s’agissait de faire constater la violation des droits garantis par la Charte lorsque l’accès aux centres d’hébergement d’urgence est conditionné par un critère de « rattachement local », ainsi que d’autres critères. En l’espèce, le critère de « rattachement local » nécessite que les personnes sans-abri rapportent la preuve qu’elles ont résidé dans la même région au cours des deux ou trois dernières années qui précèdent leur demande d’admission dans un centre d’hébergement d’urgence. Ces restrictions portent directement atteinte au droit au logement des personnes sans-abri ressortissantes du pays, aux travailleurs immigrés ainsi qu’à toute personne de nationalité étrangère en situation de régularité ou non au titre du séjour et qui se trouve sans solution d’hébergement.

La Feantsa dénonce également une offre d’hébergement d’urgence quantitativement et qualitativement insuffisante en nombre, portant notamment atteinte aux droits des personnes vulnérables.

Conférence des églises européennes (CEC) c/ Pays-Bas, 10 novembre 2014, réclamation n°90/2013

Dans sa réclamation, la Conférence des églises européennes demande au Comité de constater que la législation et la pratique concernant les adultes migrants en situation irrégulière sont contraires au droit à l’assistance sociale et médicale et au logement dès lors que ces personnes ne bénéficient pas d’une solution d’hébergement ni de vivres et de vêtements pour assurer leur subsistance.

Apport des décisions du Comité

Il est intéressant de noter qu’alors que le premier paragraphe de l’annexe à la charte restreint le champ d’application de la Charte aux ressortissants d’autres Etats contractants, dès lors qu’ils résident régulièrement sur le territoire ; le Comité dans ces deux décisions rappelle qu’une interprétation de ces dispositions ne doit pas conduire à priver les personnes en situation irrégulière de la garantie de leurs droits fondamentaux. Il rappelle qu’il a considéré dans d’autres décisions que les dispositions de la Charte peuvent être appliquées « dans certains cas et en présence de certaines circonstances aux migrants en séjour irrégulier » (comme déjà énoncé dans une décision DEI c/ Pays-Bas).

A ce titre, voir l’article de Carole Nivard, « Précisions sur les droits de la Charte sociale européenne bénéficiant aux étrangers en situation irrégulière », La Revue des droits de l’homme [Mis en ligne le 27 novembre 2014], Actualités Droits-Libertés.

Le Comité rappelle que conformément aux dispositions de la Charte, une solution décente d’hébergement d’urgence doit être proposée aux personnes sans-abri. Les formules temporaires, même dans des conditions décentes, ne peuvent être considérées comme une solution durable.

Le Comité rappelle qu’il est interdit d’expulser d’un lieu d’hébergement une personne en situation irrégulière dès lors que les Etats ne sont pas en mesure de leur proposer une solution de logement pérenne. Une telle mesure d’expulsion les placerait dans une situation d’extrême détresse, notamment les enfants, qui serait contraire au respect de la dignité humaine.

Les personnes ont droit à une assistance sociale pour parer leurs besoins immédiats (mise à l’abri, nourriture, vêtement, soins médicaux d’urgence).

Mesures immédiates

Dans le cadre d’une réclamation collective, le Comité peut également prendre des « mesures immédiates ». Sans attendre de se prononcer sur le fond, le Comité enjoint à l’Etat de prendre certaines mesures. Il a pour la première fois fait usage de cette possibilité, lorsque dans le cadre de la réclamation déposée par la Feantsa, il ordonne en octobre 2013 aux Pays-Bas de prendre sans tarder des mesures destinées à « éviter qu’il ne soit porté atteinte, de manière grave et irréparable, à l’intégrité physique des personnes sans domicile fixe, exposées à un risque imminent de dénuement ».

 N. Bernard, « Des « mesures immédiates » pour désamorcer le critère du rattachement local dans l’hébergement des sans-abri : une comparaison avec les « mesures provisoires »

 M. Uhry, « L’aide d’urgence, un droit inconditionnel pour les migrants en Europe », ASH, n°2884, 21 novembre 2014.

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