Recueil de jurisprudence relatif aux droits des habitants de terrains et squats
Rapports · Date de publication : 29/06/2022 · Date de modification : 25/09/2024
Droit des habitants de terrains et de squats
Collectif Droits des habitants de terrains et squats
Mai 2022
Cette revue de jurisprudence traite des contentieux de l’expulsion de terrains, bidonvilles ou squats et des droits des personnes contraintes de s’installer dans ces habitats précaires. L’objectif est de fournir à celles et ceux qui conseillent, accompagnent et défendent ces habitant⋅e⋅s l’information la plus fiable possible sur l’état actuel de la jurisprudence, mais aussi de mettre en valeur des outils juridiques encore peu ou pas exploités. Ainsi, par exemple, la Cour européenne des droits de l’Homme a jugé que la nécessité d’une mesure d’expulsion devait être évaluée au regard des différents droits en présence et devait donc faire l’objet d’un examen de proportionnalité par les autorités compétentes.
C’est pourquoi cette revue fait une large place aux décisions des juridictions de première instance, avec l’espoir qu’elles puissent trouver un jour un écho dans celles des juridictions supérieures.
Il faut préciser en premier lieu que ce recueil ne traite pas de la situation des personnes habitant en résidence mobile pour lesquelles s’applique une réglementation spécifique[1]. Il ne vise pas non plus uniquement les personnes Roms ou désignées comme telles. Le droit applicable à ces personnes ne diffère pas, en effet, de celui applicable à toute personne dite « occupante sans droit ni titre » d’un lieu.[2]
Première édition : décembre 2014 réalisée par le GISTI (avec le soutien du Fonds de dotation Barreau de paris Solidarité), qui a également participé à l’actualisation de mars 2019.
Ont participé à sa mise à jour en avril 2022 : le CNDH Romeurope, Jurislogement, Médecins du Monde et la Fondation Abbé Pierre
Ce document est accessible en ligne sur les sites de Jurislogement et du GISTI. D’autres outils sont disponibles sur ces sites, et notamment la note pratique Expulsions de terrain et de squat : sans titre mais pas sans droits.
SOMMAIRE
CHAPITRE PRÉLIMINAIRE : DÉFINITIONS ET DISTINCTIONS. 5
- Les types d’habitats concernés. 5
- Statut des terrains et juridiction compétente pour statuer sur une demande d’expulsion. 5
CHAPITRE 1. LES EXPULSIONS ORDONNÉES PAR LE JUGE JUDICIAIRE. 8
- Exception : l’enquête en flagrance et la voie de fait de l’administration : 8
- Condition préalable : l’existence d’un titre de propriété. 10
III. Les différentes procédures d’expulsion. 10
- La procédure d’ordonnance “sur requête”. 11
- Mise en œuvre de la procédure d’ordonnance sur requête. 11
- La contestation de l’ordonnance sur requête : le référé rétractation. 11
- Les procédures d’urgence : les référés. 13
- La demande d’expulsion fondée sur l’urgence. 13
- La demande d’expulsion fondée sur l’existence d’un trouble manifestement illicite. 16
- a) L’examen de proportionnalité : la jurisprudence de la CEDH.. 16
- b) Le trouble manifestement illicite et l’examen de proportionnalité. 18
- 1. Première approche : la mise en balance des droits respectifs (le trouble créé par l’occupation n’est pas nécessairement “manifestement illicite”) 18
- 2. Seconde approche : la mise en balance des préjudices respectifs (le trouble est nécessairement “manifestement illicite”) 21
- Portée de l’examen de proportionnalité au regard des conséquences respectives de l’occupation et d’une décision d’expulsion : le pouvoir du juge de rejeter la demande d’expulsion. 23
- Portée de l’examen de proportionnalité au regard des conséquences respectives de l’occupation et d’une décision d’expulsion : pouvoir du juge limité à l’octroi de délais. 24
- Les délais accordés aux habitants de bidonvilles et squats dont l’expulsion a été ordonnée. 31
- Le commandement de quitter les lieux et la trêve hivernale. 31
- L’allongement des délais du commandement de quitter les lieux. 31
- Restriction ou suppression du délai du commandement de quitter les lieux ou de la trêve hivernale : l’entrée par la voie de fait 32
- La demande de délais supplémentaires devant le juge de l’exécution. 36
CHAPITRE 2. LES EXPULSIONS ORDONNÉES PAR LE JUGE ADMINISTRATIF : LE REFERE MESURES UTILES. 38
- Conditions de forme du référé mesures utiles. 38
- La compétence du juge administratif 38
- La recevabilité de la requête. 38
- Conditions de fond du référé mesures utiles. 38
- La condition d’urgence. 39
- Le critère de l’utilité. 41
CHAPITRE 3. L’ÉVACUATION A LA SUITE D’UNE DECISION DE L’ADMINISTRATION.. 43
- La procédure accélérée d’évacuation en cas d’occupation du domicile d’autrui 43
- L’évacuation d’un squat en péril imminent. 43
- Les recours contre les arrêtés municipaux ou préfectoraux d’évacuation. 47
- Le référé-liberté. 47
- Le référé-suspension et le recours en annulation. 49
- Le recours indemnitaire. 54
CHAPITRE 4. L’EXÉCUTION DE LA DÉCISION D’EXPULSION ET/OU D’ÉVACUATION.. 55
- Le concours de la force publique. 55
- L’exécution d’une décision de justice. 55
- Nature et durée de la décision d’accord du concours de la force publique. 55
- Le refus d’accorder le concours de la force publique. 56
- Le recours à la force publique justifié par l’urgence. 56
- La demande de suspension ou d’annulation du concours de la force publique. 57
III. La perte ou la destruction des biens. 61
CHAPITRE 5. LES DROITS FONDAMENTAUX DES HABITANTS SANS DROIT NI TITRE. 62
- Droit à la défense, aide juridictionnelle et droit à un procès equitable. 62
- Droit d’accès à l’eau potable et à l’assainissement. 63
- Définition. 63
- Jurisprudence. 64
III. Le droit au raccordement provisoire à l’électricité. 69
- Protection de la salubrité publique. 71
- Le droit à l’hébergement et la recherche d’une solution de relogement. 72
- La réalisation d’un diagnostic préalable à l’expulsion. 72
- Le droit à l’hébergement 73
- L’obligation de l’Etat de chercher une solution de relogement 75
[1] Notamment la loi n° 2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage
[2] Cependant, la Cour européenne des droits de l’Homme considère que les personnes Roms constituent une minorité défavorisée et vulnérable, qui doit à ce titre bénéficier d’une protection particulière.
CHAPITRE PRÉLIMINAIRE : DÉFINITIONS ET DISTINCTIONS
I. Les types d’habitats concernés
Aujourd’hui, de plus en plus de personnes sont contraintes de vivre dans des habitats précaires, faute d’alternative. Ceux-ci revêtent différentes formes : outre les bidonvilles et les squats, sont concernés aussi les tentes et abris de fortune implantés en bordure des routes, sur les talus des périphériques ou dans les bois, les cabanes, etc. Quelle que soit leur dénomination, il est important de noter que, selon la loi, il s’agit de « lieux habités ». Par conséquent, les personnes qui y vivent disposent de protections procédurales, tout comme celles qui sont locataires ou qui squattent un immeuble bâti, notamment de délais pour quitter les lieux et de la trêve hivernale.
De plus, quel que soit le lieu habité, il s’agit du domicile des habitants qui l’occupent. À ce titre, l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme leur confère le droit au respect de leur vie privée et familiale. Il ne peut donc y avoir ingérence de la part d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que lorsqu’elle est « prévue par la loi et qu’elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l’ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. ».
II. Statut des terrains et juridiction compétente pour statuer sur une demande d’expulsion
Le propriétaire et le statut du terrain (ou de l’immeuble) déterminent la juridiction compétente, judiciaire ou administrative, pour statuer sur une demande d’expulsion. Un terrain peut appartenir à une personne privée ou à une personne publique.
S’il appartient à une personne privée (un particulier, une SCI, une société commerciale, etc.), celle-ci devra saisir le juge judiciaire pour obtenir l’expulsion, à savoir, depuis le 1er janvier 2020 : le juge des contentieux de la protection près le tribunal judiciaire ou près le tribunal de proximité.
Lorsque le terrain appartient à une personne publique (une collectivité territoriale, par exemple), il peut faire partie soit de son domaine public, soit de son domaine privé. Dans le premier cas la juridiction compétente pour ordonner l’expulsion sera le juge administratif, dans le second cas le juge judiciaire.
Aux termes de l’article L. 2111-1 du Code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP), un bien relève du domaine public :
- S’il est affecté à l’usage direct du public
- S’il est affecté à un service public, à condition d’avoir fait l’objet d’un aménagement indispensable à l’exécution des missions de ce service public.
Tous les biens des personnes publiques qui ne répondent pas à ces conditions font partie du domaine privé (CGPPP, art. L. 2211-1, al. 1). C’est notamment le cas des réserves foncières et des biens immobiliers à usage de bureaux, à l’exclusion de ceux formant un ensemble indivisible avec des biens immobiliers appartenant au domaine public (CGPPP, art. L. 2211-1, al. 2). Enfin, certains biens des collectivités territoriales relèvent du domaine privé en vertu de la loi, comme les chemins ruraux, les bois et les forêts des personnes publiques relevant du régime forestier (CGPPP, art. L. 2212-1). Par ailleurs, la jurisprudence a consacré la compétence du juge judiciaire, s’agissant du domaine routier (sur le fondement de l’article L. 116-1 du Code de la voirie routière).
CE, 5 mars 2014, n° 372422
« Considérant, d’autre part, que le terrain litigieux a été mis à la disposition de la communauté urbaine Lille Métropole par la commune de Lezennes et est affecté au service public de l’assainissement ; que se trouve notamment sur ce terrain une trappe d’accès à un siphon en activité ; que le terrain est en outre fermé à clé par un portail métallique ; qu’ainsi, et contrairement à ce que soutient Mme A., le terrain en cause, affecté au service public et ayant fait l’objet d’un aménagement indispensable, fait partie du domaine public […]. »
CE, 9 octobre 2013, n° 364062
« Considérant qu’après avoir relevé que l’association sportive “Barbe d’Or” n’étant pas chargée d’un service public et que le local en cause n’ayant pas fait l’objet d’aménagements spéciaux, un tel local ne pouvait constituer une dépendance du domaine public, le juge des référés du tribunal administratif a rejeté la demande de l’office public de l’habitat Lille Métropole Habitat comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître ; qu’il a ainsi porté sur les faits qui lui était soumis une appréciation exempte de dénaturation et n’a pas commis d’erreur de droit […] ».
À partir du moment où un terrain réunit les conditions nécessaires pour être classé dans le domaine public, ce classement reste applicable, même si ces conditions ont disparu, tant qu’il n’a pas fait l’objet d’une décision de déclassement.
CE, 8 avril 2013, n° 363738
« Considérant que l’association soutient, à l’appui de son pourvoi, que le juge administratif des référés n’était manifestement pas compétent pour statuer sur la demande d’expulsion dont il était saisi, dès lors que celle-ci portait sur des parcelles qui, en l’absence d’aménagement spécial, n’auraient jamais fait partie du domaine public ; que, toutefois, ainsi qu’il ressort des écritures des parties, avant la date à laquelle l’association a été autorisée par l’État, par la convention du 15 juin 2005, à occuper les parcelles cadastrées section X situées sur le territoire de la commune de Villeneuve-les-Béziers, ces parcelles avaient été acquises par l’État en vue de la réalisation des travaux, déclarés d’utilité publique par décret du 30 mars 2000, de raccordement de l’autoroute A75 à l’autoroute A9 aux abords de l’échangeur de Béziers Est ;
Qu’ainsi, la personne publique avait prévu de manière certaine de réaliser les aménagements nécessaires ; que, par suite, ces parcelles étaient soumises aux principes de la domanialité publique ; que la circonstance qu’elles n’aient finalement pas été utilisées pour la réalisation des infrastructures de transport ainsi envisagées, ainsi qu’il résulte d’une déclaration d’utilité publique modificative du 16 novembre 2007, est sans incidence, en l’absence de décision de déclassement, sur leur appartenance au domaine public ; que, par suite, les emplacements occupés par l’association, alors même qu’ils n’ont fait l’objet ni des aménagements projetés en 2000 ni d’autres travaux d’aménagement ferroviaire, ne sont pas manifestement insusceptibles d’être qualifiés de dépendance du domaine public dont le contentieux relève de la juridiction administrative […]. ».
Concernant l’occupation d’un talus soutenant le boulevard périphérique de Paris et qui fait donc partie du domaine public routier, la Cour d’appel de Paris fait application de l’article L. 116-1 du Code de la voirie routière pour retenir la compétence du juge judiciaire.
CA Paris, 22 janvier 2015, n° 13/19308
« Que ce talus constitue une dépendance du domaine public routier de la Ville de Paris et que son occupation, sans autorisation préalable et pour une utilisation non conforme à sa destination, ne relève pas des dispositions de l’article L. 2231-1 du Code général des propriétés des personnes publiques, qui attribuent à la juridiction administrative les litiges relatifs aux autorisations ou contrats comportant occupation du domaine public, mais entre dans le champ d’application des articles L. 116-1 et R. 116-2, 3° du Code de la voirie routière, dont il résulte que de tels faits, passibles d’une amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe, sont poursuivis devant la juridiction judiciaire, sous réserve des questions préjudicielles relevant de la compétence des juridictions administratives ;
Considérant qu’il résulte des articles 2 et 4 du Code de procédure pénale que la personne qui entend faire cesser des agissements dont elle s’estime victime et qui sont susceptibles de constituer une infraction pénale, dispose de la faculté d’intenter son action indifféremment devant la justice pénale ou devant la justice civile, ce dont il découle que l’absence de poursuite pénale par la Ville de Paris ou par le ministère public ne fait pas obstacle à la saisine du juge civil ; […] ».
Dans le même sens concernant le domaine public routier :
CA Douai, 8 septembre 2016, n° 15/06475
CA Paris, 5 avril 2018, n° 17/01697
Remarque : Lorsque l’administration décide de l’évacuation d’un terrain ou d’un immeuble sur le fondement de ses pouvoirs de police pour des raisons tenant à la sécurité, la salubrité et la tranquillité publiques (voir chapitre III), c’est le juge administratif qui sera compétent pour statuer sur sa légalité en cas de contestation, même si le terrain ou l’immeuble appartient à un propriétaire privé ou fait partie du domaine privé d’une personne publique.
CHAPITRE 1. LES EXPULSIONS ORDONNÉES PAR LE JUGE JUDICIAIRE
En vertu de l’article L. 411-1 du Code des procédures civiles d’exécution (CPCE), l’expulsion d’un lieu habité ne peut être réalisée qu’en vertu d’une décision de justice et selon les formes et modalités légales, notamment la signification aux occupants d’un commandement de quitter les lieux.
ATTENTION
La plupart des décisions de première instance mentionnées dans ce recueil de jurisprudence ont été rendues avant la Loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice. Depuis cette loi, les tribunaux d’instance (TI) et de grande instance (TGI) ont été fusionnés au sein d’une juridiction unique : le tribunal judiciaire.
Le tribunal judiciaire reprend entièrement leurs compétences, quel que soit le montant du litige. En matière de contentieux d’occupation sans droit ni titre, il n’y a donc plus de distinction pour le juge compétent, qu’il s’agisse d’un immeuble bâti ou non.
Plusieurs articles du code des procédures civiles ayant été modifiés, certains extraits de jurisprudence peuvent également comporter des numéros d’articles caduques.
I. Exception : l’enquête en flagrance et la voie de fait de l’administration :
Remarque : Il est communément admis que si les autorités de police constatent une occupation illégale moins de 48h après l’entrée des occupants dans les lieux, elles peuvent ouvrir une procédure d’enquête « en flagrance ». Pour autant, cette initiative ne devrait pas, en théorie, leur donner le droit de procéder à l’expulsion des habitant⋅e⋅s sans une décision préalable du juge. Cette notion de « flagrant délit » est en effet le fait pour la police de surprendre l’auteur d’un délit pendant qu’il le commet (ou dans un temps très proche). Cela lui permet ainsi, en ouvrant une enquête, de mettre en œuvre certains pouvoirs, comme celui de convoquer les occupant⋅e⋅s pour un interrogatoire ou de les placer en garde à vue. En pratique, sur la base de ce « flagrant délit », de nombreuses expulsions sont réalisées, dont certaines ont été récemment sanctionnées par le juge.
Des collectivités et l’État ont ainsi fait l’objet de poursuites pour voie de fait de l’administration en raison de l’opération d’expulsion elle-même ainsi qu’en raison de la destruction des biens, comme l’illustrent les jurisprudences ci-dessous. Depuis la jurisprudence “Bergoend” du Tribunal des conflits (TC, Bergoend, 17 juin 2013, n°C3911), l’administration commet une voie de fait lorsqu’elle a :
- Soit procédé à l’exécution forcée dans des conditions irrégulières, d’une décision, même régulière, portant atteinte à la liberté individuelle ou aboutissant à l’extinction d’un droit de propriété
- Soit pris une décision qui a les mêmes effets (d’atteinte à la liberté individuelle ou d’extinction du droit de propriété) et est manifestement insusceptible d’être rattachée à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative
Dans cette hypothèse particulière, l’expulsion a lieu sans décision de justice mais le contentieux de la voie de fait commise par l’Administration relève néanmoins de la compétence du juge judiciaire.
TI Montreuil, 26 octobre 2017, n° 12-17-000140
« […] la commune de Montreuil, ni dans ses écritures, ni dans ses développements à l’audience et même sur interrogation expresse du président de connaître le fondement textuel de sa décision de procéder à l’expulsion, n’est pas en mesure de le fournir.
Elle évoque l’infraction de dégradation en flagrance, voire la violation de domicile. Cependant ces textes ne prévoient aucunement la possibilité d’expulser, se bornant à prévoir des sanctions d’amende ou de prison en cas de dégradation (articles 322-1 et suivants du Code pénal), de violation de domicile (article 226-4 du Code pénal), et la flagrance définie à l’article 53 du Code de procédure pénale permet la réalisation d’actes d’enquête, aux rangs desquels l’expulsion ne figure pas. […].
Il doit donc être constaté que la commune, agissant en tant que propriétaire privé d’un bâtiment, a pris la décision de le faire évacuer sans s’assurer d’aucun fondement juridique à sa demande, que cette décision ne se rattache à aucun pouvoir de l’autorité administrative et a porté atteinte, par son exécution forcée, à la liberté individuelle des occupants ainsi qu’à leurs droits fondamentaux. » Le juge constate par conséquent que l’expulsion des habitants a été constitutive d’une voie de fait et ordonne la réintégration dans les lieux.
TGI Lille, 6 février 2018, n° 17/01276
« Quand bien même les services de la police nationale seraient intervenus la veille de l’expulsion aux fins de constater et de poursuivre une infraction pénale, aucun texte ne permettait ni à l’Etat ni à la commune de procéder à la moindre expulsion sans autorisation judiciaire. Il résulte en l’espèce des photographies produites et des attestations, en particulier celle établie par M. X, que les services de la police nationale participaient aux opérations illicites d’expulsion, puisque des CRS étaient présents sur les lieux, en présence d’un représentant de la préfecture du Nord, simultanément avec des policiers municipaux, dont les véhicules bloquaient les accès, et des employés de la commune manœuvrant des engins s’affairant à démolir les cabanes installées sur le terrain par les demandeurs. »
TGI Nanterre, 13 août 2018, n° 18/01675
Des policiers procèdent à l’expulsion forcée et violente d’habitants d’un terrain, sans décision de justice. Ces derniers assignent l’agent judiciaire de l’État devant le TGI afin que le juge constate la voie de fait et ordonne la réintégration des occupants dans les lieux.
Le juge du TGI rappelle que l’expulsion des cabanes construites ne peut intervenir qu’en application de l’article 38 de la loi du 5 mars 2007 ou d’une décision de justice. Or, le juge précise que : « Cette opération d’expulsion sans respect des règles pour y parvenir constitue une voie de fait, caractéristique d’un trouble manifestement illicite qu’il convient de faire cesser. » En réparation de ce trouble, le tribunal octroie aux demandeurs la somme de 1 000 € à titre de dommages-intérêts. Il refuse cependant de prononcer leur réintégration en estimant que l’occupation du terrain étant illicite, la réintégration recréerait un trouble manifestement illicite.
C.A. Douai, arrêt n°RG21/05043 du 24 mars 2022
Suite à l’évacuation forcée d’environ 600 personnes d’un terrain du domaine privé de l’EPCI Calais par le préfet du Pas-de-Calais, certaines d’entre elles et des associations forment un référé en invoquant une voie de fait de l’Administration. En première instance, le préfet soutient qu’il n’était pas l’autorité responsable de l’expulsion mais que celle-ci avait été diligentée par le procureur suite à une enquête de flagrance. Le tribunal lui donne raison, se déclare incompétent et rejette par conséquent la demande des requérants qui interjettent appel de la décision.
La Cour retient qu’en l’espèce, les déclarations du préfet et le manque de précisions des procès-verbaux du parquet sur la façon les 600 personnes ont été réparties dans 30 bus et déplacées du site en moins de 24h, montrent que : « La présence de centaines de migrants était donc connue depuis plusieurs semaines et l’évacuation du camp, impliquant la mobilisation de plusieurs dizaines de personnes et une logistique complexe, n’a pu être décidée en quelques heures. ». Elle en déduit qu’il s’agissait d’une seule opération visant à évacuer les personnes, menée par le préfet avec l’assistance des forces de police[1], alors que celui-ci n’a requis aucune autorisation du juge administratif pour y procéder. De plus, la Cour relève que depuis l’arrêté préfectoral interdisant toute distribution alimentaire, la zone de Virval était l’un des rares endroits où : « Les migrants, personnes vulnérables dans une situation de grande précarité, se réunissaient ainsi (…) en sachant qu’ils pourraient y subvenir à leurs besoins essentiels, suite à l’injonction du tribunal administratif[2]. Il ne peut dès lors être sérieusement soutenu que la fermeture de cette zone avait un objectif humanitaire. ». Elle note de plus que le parquet ne donne aucune indication sur les conditions d’hébergement prétendument proposées aux personnes après l’évacuation, et qu’ainsi la décision du préfet était bien manifestement insusceptible de se rattacher à un de ses pouvoirs.
Ensuite, la Cour recherche si l’évacuation et ses conditions de réalisation ont porté atteinte à la liberté individuelle des personnes. Après avoir rappelé la distinction entre la liberté personnelle et la liberté individuelle[3], elle relève que la rétention de migrants dans des bus afin de les diriger vers un autre lieu d’hébergement relève de la liberté individuelle. Elle ajoute que la présence des forces de police est de nature à constituer une contrainte en elle-même, surtout pour des personnes vulnérables, d’autant qu’en l’espèce celles-ci étaient également fouillées avant d’être dirigées vers les bus. Elle en conclut que : « Le confinement des étrangers dans des bus destinés à les acheminer vers une destination inconnue ne constitue dès lors pas une restriction de la liberté d’aller et venir mais une atteinte à leur liberté individuelle au sens des dispositions de l’article 66 de la Constitution. ». L’administration n’ayant pas le pouvoir de prendre une telle mesure privative de liberté, elle a donc agi hors de ses prérogatives de puissance publique, commettant ainsi une voie de fait selon la Cour, qui se déclare compétente pour trancher le litige. Elle prononce le renvoi de l’affaire pour fixer le montant de l’indemnisation du préjudice subi par les requérants.
Ces principes ont également été rappelés par le Défenseur des droits (DDD) :
Défenseur des droits, 8 mars 2018, décision n° 2018-014
Des familles occupant un bâti sans droit ni titre ont été expulsées par les forces de l’ordre dans le délai de 48h, généralement considéré comme « flagrant délit ». Le Défenseur des droits estime qu’au-delà de la procédure civile d’expulsion prévue à l’article L. 411-1 du CPCE ci-dessus cité, deux procédures administratives permettent l’intervention du concours de la force publique pour expulser des habitants : l’une, applicable en cas d’introduction et de maintien dans le domicile à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou de contrainte (article 38 de la loi du 5 mars 2007 instituant le droit au logement[4]), l’autre lorsqu’il y a péril pour les occupants. Selon le DDD, « Il convient de dissocier ces procédures de la procédure pénale visant à réprimer le comportement des occupants en cas de violation de domicile ou de dégradation de biens. […] si le délit flagrant justifie l’intervention des fonctionnaires de police, celle-ci doit se faire sous l’autorité du procureur de la République pour procéder, le cas échéant, à des interpellations et non pas à des expulsions ». La procédure pénale dans ce cadre ne peut donc en aucun cas constituer un mode d’expulsion.
Ainsi, le DDD rappelle que le concours de la force publique (voir infra), qui ne visait aucune base textuelle, ne pouvait être accordé. Cette décision d’accorder le concours de la force publique « en dehors de toute procédure légalement prévue » et « sans que les occupants n’aient été invités à quitter les lieux au préalable » « a entraîné une atteinte aux droits et libertés des occupants et notamment à leur droit à la vie privée et familiale, et pourrait constituer l’élément matériel de l’infraction prévue à l’article 432-4 du Code pénal. » Le DDD recommande en conséquence des poursuites disciplinaires à l’encontre du préfet.
Le DDD considère également que l’usage de la force a été disproportionné pendant l’expulsion, et recommande par conséquent des poursuites disciplinaires à l’encontre d’un gardien de la paix ayant, lors de celle-ci, violenté et blessé l’une des habitantes, et de rappeler au commissaire de police les dispositions de l’article R. 434-25 du Code de la sécurité intérieure.
Défenseur des droits, 7 décembre 2018, décision n° 2018-286
Dans le même sens, le DDD a rendu une décision à la suite de l’expulsion de treize personnes d’un squat. À cette occasion, il rappelle les mêmes éléments que lors de la décision ci-dessus et constate que « l’éviction à laquelle il a été procédé ne relève pas des pouvoirs de la police judiciaire, même en cas de flagrance » et qu’en tout état de cause le procureur doit être avisé dès qu’une infraction flagrante est constatée par les forces de l’ordre (ce qui a été fait bien après l’intervention en l’espèce) en tant qu’il a également un rôle de direction et de surveillance.
Il rappelle dans cette décision que « si le constat d’infraction peut entraîner des interpellations, la procédure pénale ne peut constituer un mode d’expulsion » ; il constate l’illégalité de l’intervention et un manquement du commissaire à l’article R. 434-2 du Code de sécurité intérieure, sans que le procureur de la République n’ait été en mesure de contrôler cette opération ; il estime encore que la contrainte exercée sur les occupants s’analyse comme un usage de la force (avec violation de l’article R. 434-18 du code susvisé) et, en conclusion, il recommande des poursuites disciplinaires à l’encontre du commissaire concerné. Le DDD sollicite également la rédaction d’une instruction visant à rappeler le cadre des expulsions ou évacuations des lieux habités ainsi que leur diffusion large auprès des forces de l’ordre.
II. Condition préalable : l’existence d’un titre de propriété
Pour solliciter une mesure d’expulsion, le propriétaire du terrain ou de l’immeuble doit justifier de son titre de propriété. À défaut, le juge déclarera la demande d’expulsion irrecevable pour absence d’intérêt à agir.
CA Paris, 18 février 2014, n° 13/09541
« Considérant qu’en l’espèce, le relevé de propriété produit par RFF établit que l’État était propriétaire de la parcelle cadastrée section DK n° 46 à Vitry-sur-Seine gérée par la SNCF jusqu’au transfert de propriété opéré par la loi du 13 février 1997 ; que celle-ci a confirmé par courriel du 11 octobre 2013 que le terrain, objet du litige, est bien la propriété de RFF ; qu’il n’est pas contesté en outre que ce terrain entre bien dans la catégorie des immeubles non affectés à l’exploitation des services de transport par la SNCF ; Considérant que l’appelant justifie, en conséquence, de sa qualité de propriétaire et ce même s’il ne produit pas d’acte notarié translatif de propriété ou d’attestation notariale de propriété […] ».
CE, 22 avril 2021, n° 440611
Une commune de Martinique forme un référé mesures-utiles afin d’obtenir l’expulsion de personnes vivant sur une parcelle du domaine public maritime de l’Etat. Le juge des référés prononce l’expulsion des habitants avec astreinte. Ces derniers se pourvoient en cassation auprès du Conseil d’Etat.
Celui-ci retient que : « Seule l’autorité propriétaire ou gestionnaire du domaine public est recevable à demander, sur le fondement de ces dispositions, l’expulsion de l’occupant irrégulier de ce domaine. » Ainsi, le Conseil relève que le juge des référés a commis une erreur de droit en estimant que la commune avait la qualité de gestionnaire de cette parcelle alors qu’elle était simplement titulaire d’une autorisation d’occupation à titre précaire et révocable. De plus, le Conseil note que cette autorisation n’avait ni pour objet ni pour effet de conférer la qualité de gestionnaire de cette dépendance du domaine public à la commune requérante. Il annule donc l’ordonnance prononçant l’expulsion.
III. Les différentes procédures d’expulsion
En matière d’expulsion, la procédure sur requête ne peut être utilisée qu’exceptionnellement. Dans la plupart des cas, le propriétaire doit mettre en œuvre la procédure du référé, qui est engagée par une assignation remise aux occupants par un huissier de justice.
1. Mise en œuvre de la procédure d’ordonnance sur requête
Elle permet au propriétaire d’un terrain occupé d’obtenir du président du tribunal judiciaire ou du juge des contentieux et de la protection une décision ordonnant l’expulsion des occupants, sans que ces derniers soient convoqués au tribunal (art. 493 et 845 du CPC). Il s’agit donc d’une procédure non contradictoire, raison pour laquelle elle ne peut être utilisée que de manière exceptionnelle, notamment si le propriétaire apporte la preuve de son incapacité à obtenir les identités des occupants.
Le propriétaire doit justifier non seulement des raisons pour lesquelles il a recours à une procédure non contradictoire mais également de l’urgence qu’il y a à obtenir une ordonnance d’expulsion.
La même procédure peut être utilisée par le propriétaire d’un immeuble occupé : dans ce cas la requête doit être présentée devant le juge des contentieux de la protection (Code de l’organisation judiciaire, article L. 213-4-3).
Pour contester une décision d’expulsion ordonnée “sur requête”, les personnes qui sont visées par la procédure peuvent saisir le juge des référés d’une demande de rétractation de l’ordonnance rendue sur requête.
2. La contestation de l’ordonnance sur requête : le référé rétractation
Le juge saisi de cette demande de rétractation (CPC, article 496, alinéa 2), doit vérifier s’il y avait bien des motifs objectifs et suffisants pour utiliser une procédure non contradictoire. Si ce n’est pas le cas, le juge des référés annulera l’ordonnance sur requête.
CA Paris, 2 mars 2012, n° 110707
Les occupants d’un terrain appartenant au Conseil général de Seine-Saint-Denis ont été expulsés en exécution d’une ordonnance rendue sur requête par le président du tribunal de grande instance de Bobigny le 7 avril 2011. Ils ont introduit un référé-rétractation, qui a été rejeté, décision contre laquelle ils ont fait appel.
« En admettant même que [l’huissier] ait été précisément chargé par le département de la Seine-Saint-Denis de recueillir l’identité des personnes occupant le terrain en cause, ce qui ne ressort pas de façon évidente des énonciations du procès-verbal de constat, les seules diligences de sa part accomplies à cette fin ne suffisent pas à démontrer que ces personnes n’étaient pas identifiables ou qu’il était impossible de les identifier, alors en particulier que cet huissier ne s’est adressé qu’à l’une d’elles ;[…] ».
Voir, dans le même sens :
TGI Bobigny, 21 septembre 2011, n° 11/01168
CA Paris, 22 juin 2011, n° 10/19587
TGI Lille, 17 septembre 2013, n° 13/00932
« Il ressort du constat du 27 février 2013 qui avait été produit au soutien de la requête en expulsion que l’huissier n’a effectué aucune diligence auprès des occupants du terrain pour obtenir leur identité alors même que l’un d’entre eux s’est présenté spontanément à lui et lui a déclaré son nom, de sorte que la société [XX] n’a pas administré la preuve qu’elle se heurtait à une impossibilité d’attraire en justice les occupants du campement, preuve nécessaire pour justifier de l’emploi d’une procédure non contradictoire ».
TGI Bordeaux, 4 avril 2016, n° 16/00143
« Au vu des énonciations de ce procès-verbal de constat, il apparaît que l’huissier n’a pas cherché à obtenir l’identité des occupants alors que le respect du principe fondamental de la contradiction exige qu’il soit acquis de façon certaine qu’il estime impossible d’identifier les personnes concernées par l’expulsion qui est demandée. »
Le juge saisi du « référé-rétractation » vérifie également que la condition d’urgence était bien remplie au moment où la requête a été présentée.
CA Douai, 19 février 2015, n° 14/04934
L’urgence alléguée ne suffit pas à déroger au principe de contradiction ; le terrain est occupé depuis deux ans et une convention de sécurisation du lieu avait été passée avec la société intimée, un des habitants ayant été recruté par cette société.
Si, au moment où il statue, l’expulsion a déjà eu lieu, le juge doit s’assurer du respect des dispositions de l’article 495 alinéa 3 du même code qui prévoit la remise de la copie de la requête et de l’ordonnance au moment de l’expulsion. Si ce n’est pas le cas, le juge des référés doit annuler l’ordonnance sur requête.
Enfin, si le juge saisi du référé-rétractation estime que la procédure sur requête a été régulièrement utilisée, il examinera alors si la demande d’expulsion est justifiée au jour de l’audience et il pourra rétracter l’ordonnance pour d’autres motifs que le non-respect du contradictoire.
TGI Lille, 18 septembre 2012, n° 12/00936
Rétraction de l’ordonnance sur requête au motif que les occupants ont un bail verbal, de sorte qu’il n’y avait pas d’occupation illicite.
« Il est acquis aux débats que l’occupation de l’immeuble de la SCI […] a été négociée moyennant le paiement de 50 € par famille et par chambre. Dès lors la SCI […] ne pouvait se prévaloir au soutien de la requête, ayant donné lieu à l’ordonnance critiquée d’une occupation illicite. » Il peut également accorder des délais s’il décide de faire droit à la demande d’expulsion.
TGI Bordeaux, 11 juin 2018, n° 18/00719
L’établissement Bordeaux Métropole demande l’expulsion de familles occupant un terrain privé. Leur expulsion est prononcée par une ordonnance sur requête du TGI, lequel accorde un délai de deux mois pour quitter les lieux. Les familles assignent l’établissement Bordeaux Métropole devant le juge des référés du TGI afin qu’il ordonne la rétractation de l’ordonnance ou, à titre subsidiaire, leur octroie un délai d’exécution d’un an.
Si le juge constate que la violation du droit de propriété entraîne l’existence d’un trouble manifestement illicite, il précise que les terrains litigieux sont laissés vacants et qu’aucun projet d’aménagement n’est prévu dans un délai déterminé. Il ne rétracte pas l’ordonnance mais accorde un délai d’un an aux occupants, en estimant que « l’absence de toute recherche préalable de solutions d’intégration, ou éventuellement de solutions alternatives, [constituerait] une atteinte excessive au droit à la vie privée et serait contraire à l’intérêt supérieur des enfants. » Il précise que les troubles allégués résultent du caractère précaire de l’occupation, ce qui justifie que des solutions alternatives soient trouvées, afin que l’expulsion ne reporte pas sur une autre commune les troubles dénoncés.
Par ailleurs, le juge a été amené à rappeler le cadre dans lequel ce référé-rétractation devait s’exercer : le propriétaire d’un terrain ne peut s’en prévaloir pour contester un délai qui aurait été accordé aux habitants.
TGI Bordeaux, 24 septembre 2018, n° 18/01403
Une communauté de communes saisit par requête le président du TGI pour obtenir l’expulsion, sous un délai de trois jours, d’occupants d’un terrain lui appartenant. Le juge ordonne leur expulsion et leur accorde un délai de six mois. Insatisfaite de la décision, la communauté de communes saisit le TGI en référé pour obtenir une modification de la décision concernant le délai accordé.
Le juge rappelle et précise ici les règles de procédure relatives à la contestation des ordonnances sur requête définies à l’article 496 du Code de procédure civile. Il indique : « […] seule la voie de l’appel est ouverte au requérant dès lors qu’il n’a pas été fait droit à sa requête, ce qui doit s’entendre comme un rejet en tout ou partie. » L’ordonnance sur requête n’ayant pas fait entièrement droit aux demandes de la communauté de communes, seule la voie de l’appel lui était ouverte.
Le référé-rétractation est quant à lui possible uniquement s’il est fait entièrement droit à la demande du requérant dans l’ordonnance sur requête.
TJ Bordeaux, ordonnance du 22 juin 2020
Le juge estime que la société propriétaire était fondée à saisir le tribunal judiciaire sur requête, dès lors que l’ordonnance sur requête s’est fondée sur un constat d’huissier indiquant le refus des occupants de décliner leurs identités. Le tribunal judiciaire n’ordonne donc la rétractation de l’ordonnance sur requête qu’en « ce qu’elle dit que l’expulsion des occupants sans droit ni titre du terrain appartenant à la société […] pourra être poursuivie avec le concours de la force publique passé un délai de 5 jours à compter de la signification de cette décision et d’un commandement de quitter les lieux. » Le juge accorde donc un délai jusqu’au 1er mars.
La personne propriétaire du lieu peut saisir en référé le président du tribunal judiciaire pour obtenir une ordonnance d’expulsion des occupants d’un terrain ou d’un immeuble. Les mesures ordonnées dans le cadre d’une procédure de référé ont un caractère provisoire : elles sont susceptibles d’être remises en cause par le juge qui statuera sur le fond de l’affaire, s’il est saisi, au cours d’une procédure ultérieure. Si le juge du fond n’est pas saisi, l’ordonnance de référé continuera néanmoins de produire ses effets comme n’importe quelle décision de justice. La personne propriétaire du terrain peut demander l’expulsion d’occupants en référé dans deux situations distinctes, qui peuvent se cumuler (les propriétaires les invoquent d’ailleurs presque toujours ensemble) :
- Soit s’il justifie de l’urgence à expulser les habitants du terrain (article 834 CPC)
- Soit s’il justifie d’un péril imminent ou d’un trouble manifestement illicite (article 835 CPC)
Si le propriétaire invoque l’urgence, le juge ne pourra accorder l’expulsion demandée que si elle ne se heurte à aucune contestation sérieuse.
S’il invoque un péril imminent ou un trouble manifestement illicite, le juge devra statuer même si les occupants opposent une contestation sérieuse à la demande d’expulsion : dans ce cas il devra trancher cette contestation, c’est à dire apprécier si elle justifie que l’expulsion soit refusée.
Si aucune de ces situations n’est caractérisée, le juge rejettera la demande d’expulsion.
Lorsqu’il statue sur l’existence d’un trouble manifestement illicite, le juge doit effectuer un examen de proportionnalité et mettre en balance les intérêts en présence.
La notion d’urgence est appréciée par le juge à la date à laquelle il prend sa décision et au regard des circonstances de l’espèce. Le juge dispose donc ici d’un large pouvoir d’appréciation. C’est pourquoi il est important de contester les motifs de l’urgence invoquée par les demandeurs, qu’il s’agisse de motifs liés à l’environnement ou tenant à l’état des lieux en question.
L’urgence est souvent admise, notamment pour des raisons de sécurité ou en raison de l’imminence de la réalisation d’un projet sur le terrain en question.
Du fait des conditions d’hygiène et de sécurité :
CA Paris, 30 avril 2014, n° 13/20884
« Qu’ainsi, les conditions d’hygiène et de sécurité en ces lieux sont manifestement contraires à une vie privée et familiale normale ; Qu’il n’est pas justifié que l’intérêt des enfants soit préservé par le maintien dans les conditions de vie actuelles sur cette parcelle, qui demeurent insalubres et dangereuses. »
Si les mauvaises conditions d’hygiène et de sécurité dues, ici, à l’absence de services de première nécessité, à la précarité des installations et à leur localisation justifient l’urgence de la mesure d’expulsion pour la cour d’appel, en revanche l’urgence n’a pas été retenue en première instance dans les cas suivants :
Du seul fait de la « proximité des voies de chemin de fer » :
TGI Bobigny, 24 janvier 2014, n° 13/02254
« [..] que l’urgence [selon les requérants] à prononcer les mesures sollicitées résulte de la proximité des voies de chemin de fer et de la station-service automatique – et non surveillée – dite ’AS 24’ […]. » Néanmoins, le juge constate que la seule invocation de ces faits est insuffisante « à caractériser l’urgence qu’il y aurait à procéder à une évacuation forcée des personnes présentes, dont il est au demeurant permis de supposer qu’elles connaissent les dangers d’une divagation sur des voies de chemin de fer. »
Du seul fait de la dangerosité de la situation géographique des lieux occupés :
CA Paris, 5 avril 2018, n° 17/01697
« Il convient toutefois d’apprécier de manière concrète la situation d’urgence invoquée par les parties requérantes. Force est de constater en l’espèce que nonobstant la longue durée d’occupation des lieux par les parties intimées, il n’a pas été signalé d’incidents majeurs ou mineurs survenus dans le cadre de cette occupation : départs de feu, incidents envers le voisinage, attitude hostile vis-à-vis des personnes susceptibles d’intervenir à proximité du pont. […]. S’il est effectif que les installations dans lesquelles vivent les occupants sont manifestement dépourvues des conditions d’hygiène minimales, cette situation de fait doit être appréciée à l’aune de la situation des parties intimées, lesquelles n’ont pas en l’état d’autre solution de logement. Par ailleurs, l’huissier dans le cadre de son constat a relevé que l’accès au campement se faisait par le talus dans la mesure où la clôture séparant la voie de circulation de la végétation avait été fermée au moyen d’une chaîne et d’un cadenas. Il en résulte que l’accès à la voie de circulation est normalement empêché et il n’a pas été prétendu par ailleurs que les occupants auraient endommagé de quelque manière que ce soit la clôture de séparation avec la voie de circulation. Pour le surplus les parties appelantes ne font pas valoir que des travaux sont envisagés à proximité des routes nationales concernées, ce qui rendrait l’expulsion immédiate des cooccupants nécessaire de ce chef. »
Du seul fait de l’absence d’infrastructures sanitaires et de point d’eau sur place :
TGI Bobigny, 24 janvier 2014, n° 13/02254
« Quant à l’absence d’infrastructure sanitaire et de point d’eau sur place, si elle caractérise l’extrême précarité dans laquelle vivent les personnes présentes et appelle à cet égard des mesures urgentes, il n’apparaît pas, faute de solution de relogement annoncée, que l’expulsion sollicitée puisse répondre à cette urgence en étant, par ses effets propres, de nature à mettre fin à cette situation de précarité, laquelle serait seulement renouvelée à l’identique en autre lieu. »
TGI Évry, 5 mai 2015, n° 15/429
« Enfin, la demanderesse souligne les conditions sanitaires dégradées pour les occupants de la parcelle. Or, dans la mesure où il n’est ni établi, ni même allégué qu’une solution de relogement soit envisageable pour les familles occupant ce site, il ne peut être soutenu qu’une mesure d’expulsion aurait pour effet de remédier à la précarité subie au premier chef par les occupants.
Il en résulte que la demanderesse ne saurait tirer argument de cette situation pour justifier l’urgence de l’expulsion. »
TGI Évry, 5 mai 2015, n° 15/00206
« Enfin, la demanderesse souligne les conditions sanitaires dégradées pour les occupants de la parcelle. Or, dans la mesure où il n’est ni établi, ni même allégué qu’une solution de relogement soit envisageable pour les familles occupant ce site, il ne peut être soutenu qu’une mesure d’expulsion aurait pour effet de remédier à la précarité subie au premier chef par les occupants. Il en résulte que la demanderesse ne saurait tirer argument de cette situation pour justifier l’urgence de l’expulsion. »
TGI Créteil, 21 juin 2016, n° 16/00063
« Si l’absence d’infrastructure sanitaire et de point d’eau sur place caractérise l’extrême précarité dans laquelle vivent les habitants, il n’apparaît pas non plus, faute de solution de relogement annoncée, que l’expulsion sollicitée puisse répondre à l’urgence invoquée en étant, par ses effets propres, de nature à mettre fin à cette situation, laquelle serait seulement renouvelée à l’identique en un autre lieu. » D’autant plus lorsque les familles sont installées sur ce terrain depuis plus de neuf mois.
TGI de Béthune, 12 octobre 2016, n° 16/00170
« Il ne peut être sérieusement mis en avant le caractère d’urgence dans ce dossier, au vu de l’ancienneté de l’implantation de ce camp de migrants sur le site dit de Norrent-Fontes et de la présence d’associations humanitaires [qui] permettent de lutter même difficilement contre les conditions de précarité ; […] ». Sur la présence de rats, fréquente en zone agricole « […] ce sont les migrants eux-mêmes qui en seraient les premières victimes et restent pour autant sur place […] ». Enfin, « […] aucun projet n’est mis en avant ni par la commune, ni par les propriétaires […] ».
Cette décision a été confirmée par la CA Douai, 6 avril 2017, n° 16/06615
Du fait de la seule évocation d’un projet d’aménagement du terrain :
TGI Bobigny, 2 décembre 2011, n° 11/01635
Même si les conditions de vie sur le terrain concerné sont insalubres, l’hygiène inexistante et les baraquements constitués de tôle, l’urgence n’est pas pour autant démontrée. Le juge estime que le requérant « ne fournit aucune plainte du voisinage » et constate qu’il n’existe aucun projet d’aménagement pour ce terrain. De plus, les installations sont présentes depuis plusieurs semaines, voire plusieurs mois, et le terrain semble délaissé. Par conséquent, l’urgence diminue au fur et à mesure que l’occupation se prolonge dans le temps. Si l’existence d’un projet immobilier est démontrée, elle peut caractériser l’urgence de l’expulsion. Encore faut-il démontrer la réalité et l’imminence de ce projet :
TI Lille, 17 janvier 2013, n° 12-000244
« Si [la société requérante] justifie être propriétaire du logement occupé par les [défendeurs] depuis juillet 2005, elle ne verse aucune pièce sur l’avancement du projet “écoquartier” à Faches Thumesnil ou sur l’imminence de travaux à réaliser. »
TGI Marseille, 20 novembre 2014, n° 14/03988
La société requérante a fait l’acquisition d’un tènement immobilier, loué à une autre société en vertu d’un bail commercial. Selon le juge, « il était prévu une cessation d’activité au 31 octobre 2008, l’acquéreur prévoyant une opération de construction immobilière après démolition de l’existant sous couvert d’un permis non définitif délivré le 13 mai 2008 ; Le dossier de la [société requérante] est vide de tout document sur l’évolution de ce projet immobilier depuis sept ans. Il semble qu’il y ait eu démolition, évacuation des décombres et mise en place d’une clôture mais les photos produites sont très insuffisantes et non datées ; […] Il n’y a pas de projet immobilier justifié (marché de travaux) ni preuve d’effraction ni urgence puisque selon les défendeurs les enfants auraient été scolarisés en 2013. La demande est donc rejetée. ».
TI Ivry sur Seine, 16 octobre 2015, n° 12-14-000086
Même si la société propriétaire du terrain occupé sans droit ni titre « évoque un projet de réaménagement avec démolition puis reconstruction du bâtiment, elle ne justifie ni du caractère imminent de ces travaux, ni, en conséquence, de l’urgence à voir prononcer l’expulsion des défendeurs. Le seul fait que l’acquisition par la SADEV 94 s’inscrive dans le projet d’aménagement de la ZAC Ivry-Confluences ne saurait justifier à elle seule l’urgence et la nécessité de prononcer une mesure d’expulsion en référé, et ce d’autant plus que le demandeur reconnaît lui-même que les travaux à réaliser sur cet immeuble sont prévus à l’horizon 2020. »
Lorsque l’urgence n’est pas démontrée, c’est l’existence d’un trouble manifestement illicite – qu’il faut faire cesser – qui est le plus souvent invoquée et se révèle déterminante pour obtenir une mesure d’expulsion en référé. Les propriétaires font valoir que l’occupation les trouble nécessairement dans l’exercice de leur droit de propriété, le caractère manifestement illicite de ce trouble se déduisant de ce que les occupants n’ont aucun droit ni aucun titre à leur opposer.
Toutefois, l’examen de la jurisprudence montre que l’interprétation faite par les juges judiciaires de la notion de « trouble manifestement illicite » n’est pas totalement uniforme. C’est notamment sur l’appréciation du caractère « manifestement » illicite du trouble que des différences d’appréciation peuvent apparaître. (voir infra).
Dans ce cadre, les juges sont appelés par la Cour européenne des droits de l’Homme à effectuer un examen de proportionnalité entre les intérêts en présence (ceux des propriétaires et ceux des habitant⋅e⋅s sans titre) dans les situations qui leur sont soumises.
La Cour, dans un arrêt condamnant la France, a rappelé l’exigence d’un tel examen préalablement à toute décision d’expulsion et a apporté des éclaircissements intéressants en considérant le droit à la protection du domicile comme découlant de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme. À ce propos, elle rappelle que la notion de « domicile » au sens de cet article « ne se limite pas au domicile légalement occupé ou établi, mais qu’il s’agit d’un concept autonome qui ne dépend pas d’une qualification en droit interne. »
CEDH, 17 octobre 2013, Winterstein c/France, req. n° 27013/07
« La Cour rappelle que la perte d’un logement est une atteinte des plus graves au droit au respect du domicile et que toute personne qui risque d’en être victime doit en principe pouvoir en faire examiner la proportionnalité par un tribunal ; en particulier, lorsque des arguments pertinents concernant la proportionnalité de l’ingérence ont été soulevés, les juridictions nationales doivent les examiner en détail et y répondre par une motivation adéquate […]. Dans la présente affaire, les juridictions internes ont ordonné l’expulsion des requérants sans avoir analysé la proportionnalité de cette mesure […] : une fois constatée la non-conformité de leur présence au plan d’occupation des sols, elles ont accordé à cet aspect une importance prépondérante, sans le mettre en balance d’aucune façon avec les arguments invoqués par les requérants […]. Or, comme la Cour l’a souligné dans l’affaire Yordanova et autres, cette approche est en soi problématique et ne respecte pas le principe de proportionnalité : en effet, l’expulsion des requérants ne peut être considérée comme “nécessaire dans une société démocratique” que si elle répond à un “besoin social impérieux” qu’il appartenait en premier lieu aux juridictions nationales d’apprécier. »
Parmi les éléments dont la Cour tient compte afin d’apprécier la proportionnalité d’une mesure d’expulsion, elle souligne « les possibilités de logement de remplacement existantes […]. Certes, l’article 8 ne reconnaît pas comme tel le droit de se voir fournir un domicile […], mais dans les circonstances spécifiques de l’espèce et au vu de l’ancienneté de la présence des requérants, de leurs familles et de la communauté qu’ils avaient formée, le principe de proportionnalité exigeait […] qu’une attention particulière soit portée aux conséquences de leur expulsion et au risque qu’ils deviennent sans abri ».
La Cour a par ailleurs rappelé (CEDH, 24 avril 2012, Yordanova et autres c/Bulgarie) que : « […] Dans des affaires comme celle-ci, l’appartenance des requérants à un groupe socialement défavorisé et leurs besoins particuliers à ce titre devaient être pris en compte dans l’examen de proportionnalité que les autorités nationales sont tenues d’effectuer, non seulement lorsqu’elles envisagent des solutions à l’occupation illégale des lieux, mais encore, si l’expulsion est nécessaire, lorsqu’elles décident de sa date, de ses modalités et, si possible, d’offres de relogement ».
La Cour consacre donc l’exigence d’un examen de proportionnalité en imposant une justification et une motivation quant à la nécessité de la mesure d’expulsion ainsi qu’une prise en compte de la situation des occupants au regard de l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales. En effet, la Cour EDH estime qu’une décision d’expulsion constitue une ingérence dans le droit à la vie privée et familiale des habitant⋅e⋅s, protégé par l’article 8. Cette ingérence, pour être justifiée, doit remplir certaines conditions :
- Être prévue par la loi
- Poursuivre un but légitime d’intérêt général
- Être considérée comme nécessaire, proportionnée au but légitime poursuivi et enfin, répondre à un besoin impérieux
Dans l’arrêt en question, pour apprécier la proportionnalité de la mesure, la Cour relève notamment (mais pas uniquement), l’existence de liens suffisamment étroits et continus des personnes concernées avec les lieux habités pour qu’ils soient considérés comme des domiciles devant être protégés, indépendamment de la légalité de l’installation.
CEDH, arrêt du 14 mai 2020, Hirtu et autres c. France (Requête n° 24720/13)
Des familles de nationalité roumaine et appartenant à la communauté Rom résidaient sur un terrain qu’ils ont dû quitter en raison d’un arrêté préfectoral de mise en demeure. Ils se sont alors installés sur un autre terrain dont ils ont été à nouveau expulsés. La Cour estime que l’Etat n’a pas commis de violation de l’article 3 de la CESDHLF du fait de l’expulsion, et que les requérants ne sont pas fondés à invoquer le droit au respect de leur domicile découlant de l’article 8 de la CESDHLF dès lors qu’ils ne démontraient pas de lien suffisant et continu avec le premier lieu, occupé seulement depuis six mois.
Cependant elle relève qu’une atteinte a été portée à leur droit au respect de leur vie privée. En effet, la Cour distingue l’expulsion en soi des modalités dans lesquelles celle-ci a eu lieu. Elle note que la mesure a été prise selon la procédure de mise en demeure de l’article 9 de la loi du 5 juillet 2000 et non en vertu de l’exécution d’une décision de justice. Ainsi les familles n’ont eu qu’un bref délai pour exercer un recours contre l’arrêté, et aucune des mesures préventives contenues dans la circulaire de 2012 n’a été mise en œuvre (diagnostic et accompagnement social), de sorte que leur situation particulière liée à leur appartenance à la communauté Rom n’a pas été prise en compte selon la Cour : « Or d’une part, la Cour a affirmé que l’appartenance des requérants à un groupe socialement défavorisé et leurs besoins particuliers à ce titre doivent être pris en compte dans l’examen de proportionnalité que les autorités nationales sont tenues d’effectuer, non seulement lorsqu’elles envisagent des solutions à l’occupation illégale des lieux, mais encore, si l’expulsion est nécessaire, lorsqu’elles décident de sa date, de ses modalités et, si possible, d’offres de relogement […]. D’autre part, au titre des garanties procédurales de l’article 8, toute personne victime d’une ingérence dans les droits que lui reconnaît cette disposition doit pouvoir faire examiner la proportionnalité de cette mesure par un tribunal indépendant à la lumière des principes pertinents qui en découlent (arrêt Winterstein et autres c. France, 2013). »
Sur le grief de l’atteinte au droit au recours juridique effectif garanti par l’article 13 de la CESDHLF, la Cour relève que : « aucun des recours que les requérants ont introduits ne leur ont permis ultérieurement de faire valoir leurs arguments devant une juridiction », et qu’ainsi l’examen de la proportionnalité de la mesure a été tardif (18 mois après l’expulsion). Elle constate que les requérants n’ont pas bénéficié d’un recours effectif au sens de l’article 13, car « aucun examen juridictionnel des arguments des requérants sous l’angle des articles 3 et 8 de la Convention n’a eu lieu en première instance, ni au fond, ni en référé ». Elle condamne donc l’Etat à la réparation du préjudice moral des requérants.
Ce contrôle de proportionnalité est une avancée majeure dans la prise en compte des droits fondamentaux opposés lors d’un contentieux d’expulsion. S’il devrait être en principe réalisé par le juge, la Cour de cassation en a amoindri la portée (voir infra).
Cass. Civ. 3e, 17 décembre 2015, n° 14-22095
« Attendu que, pour accueillir la demande de la commune, l’arrêt retient que la parcelle appartenant à Mme X. est située dans un espace boisé classé comme zone naturelle, dans laquelle le PLU interdit l’implantation de constructions à usage d’habitation, les terrains de camping ou de caravanage ainsi que l’implantation d’habitations légères de loisir et le stationnement de caravanes à l’usage de résidence principale ou d’annexe à l’habitation, qu’il est établi et non contesté que les consorts X., après avoir défriché et aménagé le terrain, y ont installé cinq caravanes, […] en infraction à l’article R. 421-9 du Code de l’urbanisme, et que l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et le droit au logement ne peuvent faire obstacle au respect des règles d’urbanisme ni faire disparaître le trouble résultant de leur violation ou effacer son caractère manifestement illicite ;
Qu’en statuant ainsi, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si les mesures ordonnées étaient proportionnées au regard du droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile des consorts X., la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision ; […]. »
Dans l’arrêt mentionné ci-dessus, la Cour de cassation sanctionne la décision du juge d’appel qui ne procède pas à l’examen de proportionnalité. Ce faisant, elle ne se prononce ni sur la façon dont le juge doit y procéder ni sur les conséquences qu’il doit ensuite tirer des résultats de cet examen. C’est donc au juge des référés que revient cette tâche. Au regard de la jurisprudence qui s’est développée depuis l’arrêt Winterstein et, surtout, depuis l’arrêt de la Cour de cassation du 17 décembre 2015, deux approches semblaient possibles et ont pu être adoptées par les juges selon les cas.
Dans la première, l’examen de proportionnalité se traduira par la mise en balance des droits respectivement invoqués par les parties dans le litige présenté au juge : le droit de propriété d’une part et celui de la protection au domicile d’autre part. Dans ce cadre, si le droit à la protection du domicile est pris en compte, il tempère le caractère illicite du trouble au droit de propriété créé par l’occupation : cette illicéité n’est plus « manifeste », elle devient au minimum discutable. Dans cette approche, l’occupation n’est donc pas manifestement illicite par elle- même : dans certains cas, (c’est-à-dire quand le juge est conduit à privilégier le droit à la protection du domicile) cette illicéité devient relative et il n’y a donc pas lieu à référé, les conditions d’intervention du juge – l’existence d’un trouble « manifestement » illicite – n’étant pas réunies.
Dans la deuxième approche, cet examen de proportionnalité consistera à mettre en balance non plus les droits en présence mais seulement les conséquences de l’ingérence dans le droit de propriété que constitue l’occupation, d’une part, et de l’ingérence dans le droit à la protection du domicile que constitue une expulsion d’autre part. Il s’agira donc, finalement, d’une évaluation comparée des préjudices subis par chacune des deux parties. Dans cette approche, l’occupation crée un trouble qui est, en soi, nécessairement et manifestement illicite mais, au regard de l’importance et des conséquences des troubles invoqués de part et d’autre. Là encore, deux approches jurisprudentielles se confrontent :
- L’une permettant au juge de rejeter la demande d’expulsion
- L’autre contraignant le juge à ordonner l’expulsion mais lui laissant la possibilité d’en différer l’exécution en accordant des délais. C’est l’approche actuellement retenue par la Cour de cassation mais qui ne reflète pas l’ensemble des décisions adoptées par les juridictions de première instance et d’appel.
Cette approche semble constituer une interprétation particulièrement restrictive de la jurisprudence européenne.
§1. Première approche : la mise en balance des droits respectifs (le trouble créé par l’occupation n’est pas nécessairement “manifestement illicite”)
Certains juges considèrent que, si l’existence d’un trouble est avérée du fait de la violation de la propriété privée, son caractère manifestement illicite doit s’apprécier au regard des différents droits susceptibles d’être invoqués par les occupants. Puisque le droit de propriété et le droit à la protection du domicile s’opposent, le ou la juge peut, tout en reconnaissant l’existence d’un trouble, effectuer l’examen de proportionnalité et ne pas retenir la qualification de trouble manifestement illicite.
TGI Lyon, 16 novembre 2009, n° 2009/02850
Le juge des référés du TGI de Lyon a jugé que le trouble manifestement illicite n’était pas caractérisé, la violation du droit de propriété n’ayant pas de conséquence sur l’exercice de ce droit : « […] le droit de propriété sur le terrain litigieux du Département du Rhône, défini par l’article 544 du Code civil comme étant “le droit de jouir et de disposer des choses” ne semble pas remis en question par la présence des personnes occupant le campement installé puisque le Département du Rhône n’utilise pas ce terrain et ne justifie d’aucun projet immédiat. Dès lors, l’expulsion n’apparaît, en l’état, pas nécessaire à la protection des droits du département du Rhône. Aucun dommage imminent ni trouble manifestement illicite n’étant caractérisé, le demandeur sera débouté. »
TGI Bobigny, 2 juillet 2014, n° 14/01011
« Que l’illicéité [d’un] trouble n’est manifeste que si les occupants sont non seulement sans titre – ce qui n’est pas contesté en l’espèce – mais encore insusceptibles d’invoquer des droits fondant leur maintien sur le terrain en cause et de nature, à ce titre, à justifier une restriction au droit de jouir de sa propriété de la manière la plus absolue que le propriétaire tient des dispositions de l’article 544 du Code civil ; Que si des droits de nature à justifier de telles restrictions au trouble, indéniable, que subit le propriétaire sont utilement invoqués par les occupants, l’illicéité de ce trouble perd son caractère manifeste et devient au contraire sujette à appréciation de sorte que le juge des référés perd lui-même le pouvoir d’y mettre fin , seul le juge de fond disposant du pouvoir d’arbitrer entre des parties invoquant des droits concurrents ; […] l’article 8 de la Convention ne garantit pas l’accès à un logement à ceux qui en sont dépourvus mais garantit, en revanche, à ceux qui disposent d’un domicile, notion distincte, le droit à sa protection ; Que si les défendeurs sont à l’évidence privés de logement au sens impliquant un niveau décent de confort […], ils justifient en revanche avoir établi leurs domiciles sur le terrain en cause ; Qu’ils sont en conséquence recevables à invoquer et opposer le droit à sa protection […]. »
Il confirme ainsi l’approche selon laquelle le droit à la protection du domicile (parmi d’autres) peut empêcher qu’une atteinte au droit de propriété soit considérée nécessairement comme un trouble manifestement illicite et que le premier peut, sous certaines conditions, justifier une limitation à l’exercice du second. Ainsi, les habitants de squats ou bidonvilles peuvent se voir reconnaître, sinon le droit de s’installer définitivement sur le terrain sur lequel ils ont établi leurs domiciles, du moins le droit de résister à une demande d’expulsion dès lors qu’ils ne bénéficient pas d’une solution de relogement pérenne.
TGI Créteil, 21 juin 2016, n° 16/00063
« Il résulte [de l’article 8 de la CESDHLF] que la protection du droit de propriété d’autrui ne peut justifier qu’il soit porté atteinte au droit à la protection du logement que si cette atteinte est proportionnée au but légitime que constitue la protection de ce droit de propriété. La mesure d’expulsion sollicitée par l’État serait de nature, dans les circonstances de l’espèce, à provoquer un trouble plus grave dans l’exercice par les habitants du campement de leurs droits à la protection de la vie privée et familiale, à la protection de leur domicile et à la protection de l’intérêt supérieur de leurs enfants, de sorte que ce trouble qu’il subit lui-même dans l’exercice de son droit de propriété du fait de leur maintien sur le terrain en cause ne peut être tenu pour manifestement illicite. »
TI Bobigny, 8 novembre 2017, n° 12-17-000241
« […] en tant que garant du respect des dispositions de la CESDH, ainsi que de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH), le juge national doit, dans le cadre d’une procédure d’expulsion, procéder à un examen de proportionnalité de l’ingérence dans le droit au respect de la vie privée et familiale des occupants ainsi que de leur domicile […]. La CESDH, telle qu’interprétée par la Cour, ne garantit pas un droit au logement, mais le droit au respect du domicile. Il convient donc, en l’espèce, d’apprécier la proportionnalité de la mesure d’expulsion sollicitée avec les intérêts des défendeurs, à l’aune de leur droit au respect de leur vie privée et familiale et de leur droit à la dignité, qui sont de valeur égale au droit de propriété de la commune de Drancy. […]
L’atteinte au droit de propriété de la commune de Drancy est ainsi caractérisée et l’empêche de pouvoir jouir pleinement de ses prérogatives de propriétaire. Néanmoins, ladite commune ne fait état d’aucun projet s’agissant de l’immeuble litigieux. […] La gravité de l’atteinte portée au droit à la vie privée et familiale des requérants doit par ailleurs s’apprécier en considération des alternatives d’hébergement éventuellement proposées à ceux-ci. […] Si l’occupation illégale ne peut constituer un moyen licite de mettre en œuvre le droit au logement, il y a lieu néanmoins de retenir que les défendeurs ont accompli toutes les démarches amiables et contentieuses à leur disposition pour que le droit au logement soit reconnu. […]
[…] Il en résulte que leur expulsion, en l’absence de toute solution de relogement, constituerait une atteinte disproportionnée à leur droit au respect de leur vie privée et familiale, mis en balance avec le droit de propriété de la commune de Drancy. En conséquence, il y a lieu de considérer que le trouble manifestement illicite n’est pas caractérisé et que le juge des référés n’est pas compétent. »
CA Toulouse, 4 novembre 2015, n° 15/01195
Le juge judiciaire constate ici que l’occupation objet du litige, certes sans droit ni titre, « se prolonge depuis plusieurs mois, voire plusieurs années ; que nonobstant des conditions précaires voire insalubres, des familles sont installées sur les lieux, nombre d’enfants des intimés sont scolarisés comme ils en justifient, un travail de suivi sanitaire et social a été engagé depuis plusieurs mois, des membres de la communauté justifient avoir accompli des démarches auprès de Pôle emploi […] ». Par conséquent, l’expulsion demandée sans aucune proposition de relogement des familles concernée, « aurait pour effet […] de jeter les personnes expulsées dans une précarité plus grande que celle dans laquelle elles vivent actuellement et serait susceptible de mettre en danger les enfants, leur interdisant de poursuivre une scolarité dans des conditions normales. Qu’ainsi l’atteinte portée au droit au respect à la vie privée et familiale garanti par l’article 8 de la CEDH et à l’intérêt de l’enfant garanti par l’article 3-1 de la convention internationale de New York serait disproportionnée par rapport à la protection du droit de propriété des appelantes. »
Décisions négatives :
TI Marseille, 11 janvier 2018, n° 12-17-004167
La mesure d’expulsion « n’apparaît pas disproportionnée au regard du respect du domicile et de la vie privée et familiale comme au regard de l’intérêt supérieur de l’enfant dès lors que : – l’occupation des lieux est récente puisque remontant au mois de novembre 2017 pour les plus anciens occupants ; – les lieux occupés par les défenseurs ne peuvent offrir un hébergement sécurisant et compatible avec une vie de famille compte tenu de la surpopulation incontestable des lieux, du caractère indigne des modalités d’occupation qui s’avèrent potentiellement dangereuses tant pour les occupants eux-mêmes et notamment pour les enfants que pour les tiers, s’agissant d’un bien immeuble faisant partie d’une copropriété, – le droit de propriété fait également partie des droits subjectifs fondamentaux qui doit être respecté et l’absence de projet concernant les bâtiments en question est inopérante, un propriétaire disposant comme il l’entend de sa propriété privée. »
TI Limoges, 29 octobre 2019, n° 19-000967
90 personnes dont 22 enfants, majoritairement en situation irrégulière, occupent un ancien site industriel. Son propriétaire saisit le tribunal en référé pour solliciter leur expulsion sans délai.
Se fondant sur l’arrêt Winterstein de la CEDH, le tribunal procède à un examen de proportionnalité entre le droit de propriété et le droit à la vie privée des occupants pour juger si l’occupation des lieux constitue un trouble manifestement illicite, fondant sa compétence en matière d’expulsion. En l’espèce, il estime qu’au regard de l’installation récente des occupants, du projet de réhabilitation des lieux et de la pollution du site portant des risques sanitaires : « le caractère illicite du trouble causé au droit de jouissance du propriétaire doit être qualifié de manifeste. ». En conséquence, il ordonne l’expulsion du site. Cependant, estimant que le propriétaire ne démontre pas la voie de fait des occupants, il refuse de supprimer le délai de deux mois pour quitter les lieux ainsi que le bénéfice de la trêve hivernale.
Le juge des référés peut également écarter la notion de trouble manifestement illicite, même en cas d’occupation sans droit ni titre, en constatant que la violation du droit de propriété n’est pas caractérisée compte tenu de la nature du terrain ou des modalités de son occupation. Le juge des référés considérera alors que l’occupation ne constitue pas un trouble manifestement illicite puisque la jouissance du terrain par le propriétaire n’est pas troublée en pratique.
TJ Bobigny, ordonnance n° RG 20/01502 du 25 janvier 2021
Des personnes vivent sur un terrain appartenant à l’Etat et géré par un établissement public. Ce dernier assigne les personnes en référé en vue d’obtenir leur expulsion.
Le juge retient que les conditions du référé sont remplies car l’occupation sans droit ni titre constitue un trouble porté au droit de propriété. Il poursuit en rappelant l’exigence du contrôle de proportionnalité dans le cadre d’une procédure d’expulsion et en constatant que les conditions d’occupation, si elles sont précaires, ne constituent pas un risque de dommage imminent pour les personnes. Ainsi, selon le juge, compte tenu des éléments en présence, et de l’absence de mise en œuvre de mesures d’accompagnement des défendeurs, ce malgré la situation sanitaire actuelle, : « […] la mesure d’expulsion sollicitée apparaît, dans les circonstances de l’espèce, disproportionnée au regard du droit au respect de la vie privée et familiale des défendeurs et à la protection de l’intérêt supérieur de leurs enfants, de sorte que le trouble que subit l’EP GPA dans l’exercice de son droit de propriété du fait du maintien des défendeurs sur le terrain en cause ne peut être tenu pour manifestement illicite. » Le juge estime à ce titre qu’il n’y a pas lieu à référé et rejette la demande d’expulsion.
§2. Seconde approche : la mise en balance des préjudices respectifs (le trouble est nécessairement “manifestement illicite”)
Le 21 décembre 2017, la Cour de cassation s’est à nouveau prononcée sur le rôle du juge des référés dans le cadre de l’appréciation du trouble manifestement illicite et de l’examen de proportionnalité. Sans remettre en cause l’obligation de procéder à un tel examen, elle sanctionne néanmoins l’approche radicale adoptée par le juge d’appel selon laquelle le droit à la protection du domicile consacré par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales peut faire disparaître le caractère manifestement illicite du trouble causé au droit de propriété par l’occupation.
Cour de cassation, chambre civile, 21 décembre 2017, n° 16-25469
« Attendu que, pour dire n’y avoir lieu à référé, l’arrêt retient qu’une mesure d’expulsion, qui aurait pour effet de placer M. et Mme X. dans une plus grande précarité, s’agissant de ressortissants syriens ayant été contraints de quitter leur pays d’origine, caractériserait une atteinte plus importante au droit au respect du domicile de M. et Mme X., que le refus de cette mesure au droit de propriété de Habitat Toulouse, et serait, à l’évidence, dans les circonstances de l’espèce, de nature à compromettre l’exercice par ceux-ci de leurs droits consacrés par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, de sorte que le trouble allégué est dépourvu de toute illicéité manifeste ; Qu’en statuant ainsi, alors que l’occupation sans droit ni titre du bien d’autrui constitue un trouble manifestement illicite, la cour d’appel a violé le texte susvisé […] ».
Pour la Cour de cassation, l’examen de proportionnalité ne peut pas consister en une évaluation comparative des droits à protéger et de l’importance à leur accorder mais en une évaluation comparative des conséquences préjudiciables qui résulteraient, pour les habitants, de leur expulsion et, pour le propriétaire, de leur maintien dans les lieux. En revanche, la Cour n’a toujours pas donné d’indications quant aux conséquences que le juge pourra tirer des résultats de l’examen de proportionnalité dont l’objet a ainsi été précisé.
CA Paris, 24 octobre 2018, n° 18/05011
Le juge estime que l’occupation sans autorisation du légitime propriétaire « constitue en soi un trouble manifestement illicite au sens de l’article 809 alinéa 1er du Code de procédure civile ».
Cependant, « le droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile est un droit fondamental pour garantir à l’individu la jouissance effective des autres droits fondamentaux qui lui sont reconnus ; Considérant qu’il s’ensuit que, dans le cadre d’une procédure d’expulsion, il doit être recherché si la mesure ordonnée est proportionnée au regard du droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile des occupants […] ». En l’espèce, il n’y a pas une telle atteinte eu égard à la brièveté de l’occupation, au défaut de preuve sur la scolarisation alléguée de certains enfants, aux conditions de vie sur le terrain qui sont extrêmement précaires, et à l’absence de toute démarche de la part des habitants en vue de pourvoir à leur relogement dans des conditions normales.
Cour de cassation, 3e civ., 4 juillet 2019, n° 18-17119
Les propriétaires d’une parcelle à Montpellier assignent en référé des personnes habitant sur le terrain afin d’obtenir leur expulsion. La Cour d’appel rend un arrêt confirmant l’expulsion ordonnée en référé, considérant que toute occupation sans droit ni titre du bien d’autrui constitue un trouble manifestement illicite permettant au propriétaire d’obtenir, en référé, l’expulsion des occupants. Ces derniers se pourvoient en cassation en invoquant la violation du droit à la protection de leur domicile garanti par l’article 8 de la CESDHLF du fait de la mesure d’expulsion prononcée à leur encontre.
La question posée à la Cour est de savoir si le référé expulsion visant à protéger le droit de propriété n’est pas disproportionné par rapport à l’atteinte à la vie privée des occupants de la parcelle se trouvant privés de domicile du fait de l’expulsion. La Cour de cassation répond par la négative en retenant d’une part que l’expulsion est la seule mesure de nature à permettre au propriétaire de protéger son droit de propriété. D’autre part elle affirme que : « l’ingérence qui en résulte dans le droit au respect du domicile de l’occupant, protégé par l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, ne saurait être disproportionnée eu égard à la gravité de l’atteinte portée au droit de propriété ; qu’ayant retenu à bon droit que, le droit de propriété ayant un caractère absolu, toute occupation sans droit ni titre du bien d’autrui constitue un trouble manifestement illicite permettant aux propriétaires d’obtenir en référé l’expulsion des occupants, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de procéder à une recherche inopérante, a légalement justifié sa décision.».
La Cour confirme ainsi sa position antérieure (Cass. Civ. 3e, arrêt 21 déc. 2017, n° 16-25.406 ; Cass. Civ. 3e, arrêt du 17 mai 2018, n° 16-15.792) et opère un contrôle de proportionnalité abstrait. En estimant que l’atteinte ne saurait être disproportionnée, elle édicte « une forme de présomption irréfragable de proportionnalité de la sanction »[5]. L’atteinte causée au droit au respect du domicile des occupants du fait de l’expulsion est en quelque sorte présumée proportionnée car l’atteinte au droit de propriété est jugée encore plus grave et justifie donc l’expulsion. Le domicile étant une notion juridique fonctionnelle se matérialisant surtout sur le plan administratif, sa valeur normative est inférieure à celle du droit de propriété, qui a valeur constitutionnelle et un caractère absolu et exclusif (article 544 du Code civil ; Cons. const. 16 janv. 1982, n° 81-132-DC). Ce caractère exclusif du droit de propriété permet à la Cour d’insister sur la gravité de l’atteinte au droit de propriété du fait de l’occupation sans titre, qui justifie ainsi le recours à l’expulsion.
« En définitive, le contrôle de proportionnalité n’est pas qu’une mise en balance aléatoire de deux intérêts équivalents. Il est des cas (droit exclusif préexistant) où la proportionnalité est présupposée, dès lors que l’atteinte est grave et que la sanction est la seule mesure efficace. Dans d’autres hypothèses (pas de droit subjectif contraire ou conditions non remplies), le juge doit peser les intérêts en présence, en appréciant les circonstances d’espèce. Il appartiendra à la Cour de cassation de construire ce régime par touches successives. Ainsi, qu’il soit permis d’espérer que le contrôle de proportionnalité, manié par le juge de cassation avec la plus grande précaution, renforce paradoxalement son rôle d’unification du droit[6] ».
Cass. Civ. 3e, arrêt du 28 novembre 2019 n° 17-22.810
La Cour réitère sa position dans cet arrêt concernant l’expulsion de personnes vivant sur un terrain communal. La Cour casse l’arrêt de la cour d’appel qui avait estimé que malgré l’existence d’un trouble manifestement illicite, la mesure d’expulsion pouvait porter atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale, au droit au respect du domicile et à l’intérêt supérieur des enfants. La troisième chambre retient en effet que : « l’expulsion étant la seule mesure de nature à permettre au propriétaire de recouvrer la plénitude de son droit sur le bien occupé illicitement, l’ingérence qui en résulte dans le droit au respect du domicile de l’occupant ne saurait être disproportionnée eu égard à la gravité de l’atteinte portée au droit de propriété […] ».
Dans le même sens : CA Douai, arrêt n° RG 20/01520 du 8 avril 2021
La question se pose donc de savoir quelle est la portée de l’examen de proportionnalité et quelle est la marge d’appréciation laissée au juge. Deux approches sont à nouveau concevables. Dans la première, après avoir constaté, dans un premier temps, l’existence du trouble manifestement illicite qui conditionne l’intervention du juge des référés, ce dernier pourra néanmoins rejeter la demande d’expulsion présentée par le propriétaire (c’est à dire le débouter de sa demande) en relevant le caractère disproportionné des conséquences qui résulteraient d’une telle décision d’expulsion au regard des conséquences, pour le propriétaire, de l’occupation des lieux.
Dans la deuxième approche, le juge qui constaterait le caractère disproportionné des conséquences d’une décision d’expulsion ne pourrait pas, pour autant, rejeter la demande du propriétaire puisque celui-ci se prévaut d’un trouble manifestement illicite qui est nécessairement causé par l’occupation. Dans ce cas, le juge pourrait donc seulement décider de différer l’exécution de l’expulsion. La conséquence de l’examen de proportionnalité se limiterait alors à la possibilité d’accorder des délais afin d’atténuer, autant que faire se peut, les conséquences de cette mesure.
Depuis les arrêts de la Cour de cassation du 21 décembre 2017 et du 4 juillet 2019[7], il semble que la seconde approche ait été retenue par la Cour. Cette approche ne reflète cependant pas l’ensemble des décisions adoptées par les juridictions de première instance et d’appel. Elle semble constituer une interprétation restrictive de la jurisprudence européenne.
a. Portée de l’examen de proportionnalité au regard des conséquences respectives de l’occupation et d’une décision d’expulsion : le pouvoir du juge de rejeter la demande d’expulsion
Il s’agit ici d’examiner la portée de l’examen de proportionnalité au regard des conséquences respectives de l’occupation et d’une décision d’expulsion.
TI Montreuil, 13 mars 2015, n° 11-14-000211
« Le fait pour la commune de retrouver la jouissance effective du bien dont elle est propriétaire ne peut être acquis au prix d’une expulsion aux conséquences humaines d’autant plus lourdes qu’elle s’inscrit dans un contexte de multiples expulsions de ce type qui n’ont pour effet que de déplacer les occupations illégales et de maintenir les personnes qui en sont l’objet dans un état de grande précarité. En l’absence de projet spécifique de la commune justifiant la récupération des lieux, en l’absence de trouble à l’ordre public et en l’absence de démarche, par la mairie, pour apporter à ces familles démunies une alternative à l’expulsion, il sera considéré que cette expulsion porte une atteinte disproportionnée au droit à un domicile et à une vie privée et familiale normale. La demande en expulsion de la commune de Montreuil sera donc rejetée. »
CA Versailles, 11 juin 2015, n° 15/00166
La Cour d’appel, saisie d’une demande de suspension de l’exécution provisoire de la décision d’expulsion rendue par le juge des référés relève « que M. et Mme X. faisaient état de la situation particulière de cette famille composée de 11 personnes dont neuf enfants, récemment expulsée d’un terrain où elle s’était installée dans une caravane [..], alors que les enfants sont scolarisés dans cette commune limitrophe où la famille est connue depuis une dizaine d’années et qu’une demande d’allocation de logement prioritaire “Dalo” est restée à ce jour infructueuse ». Procédant elle-même à l’examen de proportionnalité que le juge d’instance avait éludé, la Cour considère que les conséquences de l’exécution immédiate et provisoire de la décision, rendue en référé « seraient en l’espèce manifestement excessives en l’absence de toute proposition effective de relogement et de solution de scolarisation des enfants ». En conséquence la Cour ordonne la suspension de l’exécution de la décision d’expulsion.
CA Paris, 17 mai 2016, n° 15/12953
Des attestations font état des démarches faites par les familles, soutenues par des bénévoles associatifs, en vue de l’accès aux droits comme la santé, l’emploi, la scolarisation, le logement, l’insertion. De plus, « le lien entre les personnes occupantes et le terrain occupé est suffisamment étroit pour que ce dernier puisse être considéré comme un domicile dont la protection doit être assurée ». Enfin, le fait que ces familles appartiennent à une minorité vulnérable implique qu’il faille tenir compte de leurs besoins et de leur mode de vie. Par conséquent, « l’ingérence dans le droit de ces familles au respect de leur vie privée et familiale qui constituerait une expulsion du terrain qu’ils occupent serait dans ces conditions disproportionnée au regard du but légitime poursuivi ». La décision de première instance qui avait rejeté la demande d’expulsion est donc confirmée.
TGI Montpellier, 16 mars 2017, n° 17/30156
Si le trouble manifestement illicite subi par la commune est caractérisé par une atteinte à son droit de propriété, « en l’espèce, l’expulsion sans aucune mesure d’accompagnement ou de relogement alors que les familles concernées ont des enfants en bas âge, que certains enfants sont scolarisés, que les adultes de la communauté font des efforts d’insertion et sont accompagnés en ce sens par des associations, est susceptible de porter une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale des défendeurs mais également, à l’intérêt supérieur de l’enfant […] ». La demande d’expulsion de la commune est écartée.
CA Aix-en-Provence, 15 juin 2017, n° 17/05637
Des familles roumaines habitent depuis plusieurs années sur une partie d’un terrain communal constitué de plusieurs parcelles à l’état de friche. Le juge relève qu’aucune pièce du dossier ne révèle une situation de danger, de trouble à l’ordre public ou de dommage imminent pour les familles ou pour les tiers résultant de l’occupation des lieux. Il estime ainsi que :
« Le trouble manifestement illicite est avéré du fait de l’occupation irrégulière des parcelles appartenant à la commune, mais le premier juge, a par des motifs complets et pertinents que la cour fait siens, exactement rappelé que la mesure d’expulsion sollicitée est disproportionnée au regard du respect aux droits garantis par l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, et l’article 3-1 de la Convention de New York relative aux droits des enfants, revendiqués par les familles roumaines occupant les parcelles ».
T.J. Bobigny, ordonnance n°RG21/01998 du 11 avril 2022
Suite à la suspension en référé d’un arrêté municipal ordonnant l’évacuation forcée d’habitants d’un terrain du domaine public par le juge des référés du tribunal administratif, la commune assigne les habitants en expulsion auprès du juge des référés du tribunal judiciaire.
Le juge rappelle qu’il doit se livrer au contrôle de proportionnalité de la mesure d’expulsion par la mise en balance du droit de propriété à l’aune du droit au respect de la vie privée et familiale et de l’intérêt supérieur de l’enfant. En l’espèce, il relève que contrairement aux conclusions du rapport du service communal d’hygiène et de santé, le terrain est situé dans une zone d’aléa moyen et que la nature des installations ne permet pas de caractériser un risque grave ou imminent pour les occupants ou les tiers. Il ajoute que les habitants prouvent qu’ils sont unis par des liens familiaux et qu’ils comptent parmi eux des femmes enceintes et des enfants en bas-âge ou scolarisés. De plus, le juge retient que les requérants prouvent sont suivis par des associations et qu’ils bénéficient, : « (…) d’un accompagnement professionnel et social nécessaire au regard de leur situation de précarité et donc de vulnérabilité, ainsi que de la scolarisation de plusieurs enfants. ». Il en conclut que les installations de fortune constituent le domicile des défendeurs indépendamment de la légalité de l’occupation.
Enfin, il retient que : « En conséquence, si l’ingérence que constitue l’expulsion pour remédier à l’occupation sans droit ni titre, est prévue par la loi et qu’elle apparaît nécessaire au regard de la précarité des conditions de vie des occupants dudit terrain, celle-ci apparaît constituée (sic) une atteinte disproportionnée au droit des occupants à voir respecter leur vie privée et familiale, à la protection de leur domicile et à l’intérêt supérieur des enfants présents et au risque qu’ils se retrouvent sans abris, et ce alors même qu’aucune mesure d’accompagnement n’est justifiée en dépit de la vulnérabilité constatée et que le motif visant à remédier à la précarité dans laquelle vivent les personnes occupant le terrain n’est pas invoqué par la commune de Montreuil, laquelle est pourtant partie prenante des actions de l’Etat visant à améliorer la prise en charge de ces personnes par le biais du plan national d’appui et de suivi par la DIHAL et de la circulaire interministérielle du 26 aout 2012 relative à l’anticipation et à l’accompagnement des opérations d’évacuation des campements illicites. ». Dès lors, le juge rejette la demande d’expulsion de la commune.
b. Portée de l’examen de proportionnalité au regard des conséquences respectives de l’occupation et d’une décision d’expulsion : pouvoir du juge limité à l’octroi de délais
Dans cette approche, le juge n’a d’autre choix que de prononcer l’expulsion. Dès lors, la portée de l’examen de proportionnalité au regard des conséquences respectives de l’occupation et de la décision d’expulsion se limite au pouvoir du juge d’octroyer des délais aux habitants pour quitter les lieux.
L’article L. 412-3 du Code des procédures civiles d’exécution (CPCE) prévoit la possibilité d’accorder le sursis à exécution des décisions d’expulsion. L’article L. 412-4 précise la durée et les éléments pris en considération pour accorder ou non ces délais. Aux termes de ce dernier : « La durée des délais prévus à l’article L. 412-3 ne peut, en aucun cas, être inférieure à trois mois ni supérieure à trois ans. Pour la fixation de ces délais, il est tenu compte de la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l’occupant dans l’exécution de ses obligations, des situations respectives du propriétaire et de l’occupant, notamment en ce qui concerne l’âge, l’état de santé, la qualité de sinistré par faits de guerre, la situation de famille ou de fortune de chacun d’eux, les circonstances atmosphériques, ainsi que des diligences que l’occupant justifie avoir faites en vue de son relogement. Il est également tenu compte du droit à un logement décent et indépendant, des délais liés aux recours engagés selon les modalités prévues aux articles L. 441-2-3 et L. 441-2-3-1 du Code de la construction et de l’habitation et du délai prévisible de relogement des intéressés. »
Le juge des référés doit tenir compte, dans son interprétation des textes et son appréciation quant à l’octroi de délais aux occupants, des droits fondamentaux consacrés par les articles 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et 3-1 de la Convention de New-York relative aux droits de l’enfant.
L’octroi de délais fondé sur l’absence de solution de relogement et la situation familiale :
TGI Lyon, 24 décembre 2012, n° 2012/02846
« […] que si cette occupation sans droit ni titre, qui caractérise une atteinte illicite portée au droit de jouissance dont dispose la commune sur le terrain considéré, justifie une mesure de remise en état par le juge des référés, l’objectif de valeur constitutionnelle que représente le droit pour toute personne de disposer d’un logement décent, exige également que les occupants aient une possibilité effective d’hébergement que le pouvoir public se doit de rechercher et de mettre en œuvre […] ».
TI Saint-Etienne, 12 novembre 2014, n° 12-14-000315
« Toutefois, les défendeurs justifient qu’ils ne disposent d’aucune solution de relogement dans l’hypothèse de leur expulsion alors qu’ils ont des enfants à charge, les demandes d’hébergement formulées auprès de la préfecture à compter du 12 mars 2014 étant demeurées sans effet, tandis que [les personnes concernées] justifient qu’[elles] ont des problèmes de santé importants et que la famille a deux enfants à charge, régulièrement scolarisés. » Le juge accorde par conséquent un délai de huit mois pour quitter les lieux.
TGI Evry, 9 décembre 2014, n° 14/01022
« Attendu qu’afin de faire cesser le trouble relevé, mais en considération des justificatifs de travail et de scolarité qu’ont communiqués les défendeurs, il s’impose de leur laisser un délai expirant le […] juin 2015 pour libérer les lieux après y avoir enlevé tous biens édifiés par leurs soins […] ».
TI Lille, 3 août 2015, n° 14-000559
« L’expulsion sans délai lorsqu’elle ne répond pas à un danger sanitaire avéré ou à un risque caractérisé pour les personnes contribue à aggraver la situation des personnes visées et à déplacer le problème de leur prise en charge. […] occupent la maison avec […] leur fils majeur et leurs sept enfants mineurs âgés de 15 à 6 ans ; quatre enfants sont scolarisés. Il n’est pas contestable qu’une expulsion aurait des conséquences d’une exceptionnelle gravité pour la famille qui risquerait de se retrouver séparée alors qu’un équilibre certain existe. Dans ces conditions et compte tenu des intérêts en présence, il convient d’accorder à […] un délai de dix mois pour quitter les lieux ; […] ».
TI Ivry-sur-Seine, 16 octobre 2015, n° 12-14-000086
Le juge estime que, pour accorder des délais, « il doit notamment tenir compte de la bonne ou mauvaise volonté manifestée par l’occupant dans l’exécution de ses obligations, des situations respectives du propriétaire et de l’occupant, notamment en ce qui concerne l’âge, l’état de santé, la qualité des sinistrés par faits de guerre, la situation de la famille ou de fortune de chacun d’eux, les circonstances atmosphériques, ainsi que des diligences que l’occupant justifie avoir faites en vue de son relogement. »
Dans le cas d’espèce, plusieurs éléments sont apportés :
- Les défendeurs connaissent « une situation personnelle, financière et professionnelle fragile », et l’installation sur le terrain objet du litige « leur a permis de stabiliser leur situation et d’entamer des démarches sérieuses d’insertion », avec l’appui d’une association.
- De plus, « ils recherchent de manière active des solutions d’hébergement pérennes, l’occupation de l’immeuble par ces personnes ne constituant qu’un passage transitoire au cours duquel ils peuvent trouver une certaine stabilité et solidarité, puis trouver un logement régulier », ce qui a été le cas d’une des familles visées initialement dans l’assignation.
- Enfin, des familles qui occupent l’immeuble en question vivent avec des enfants mineurs « qui ont pu s’investir dans leur scolarité grâce à la stabilité offerte par leur installation ». D’autres familles ont même trouvé un emploi, certains en CDI, d’autres en intérim et bénéficier d’une formation professionnelle auprès de Pôle emploi. Par conséquent, « une expulsion sans délai mettrait à néant leurs efforts de réinsertion. »
Au regard de tous ces éléments, et en tenant compte de « la précarité de l’ensemble des défendeurs » et des « efforts de réinsertion menés depuis plusieurs mois et qui ont été rendus possibles par la stabilité offerte par l’occupation à titre d’habitation » de l’immeuble objet du litige, le juge accorde un délai de trois ans pour quitter les lieux.
CA Douai, 26 mai 2016, n° 15/05279
Le juge effectue un examen de proportionnalité : il oppose la volonté d’insertion des habitants, établie par diverses pièces, au projet d’aménagement du propriétaire et sa tolérance du bidonville pendant deux ans. Il confirme l’ordonnance qui a autorisé l’expulsion en accordant un nouveau délai de six mois pour « permettre la poursuite des mesures d’accompagnement social aux fins de relogement et la mise en œuvre des mesures prévues par la circulaire du 26 août 2012 ».
CA Douai, 06 juin 2019 n° 19/00172
La Cour relève la très grande précarité des occupants. Elle constate : « les requérants sont, au moins en partie, des personnes étrangères en situation irrégulière sur le territoire français, en situation de grande précarité, isolées et ne bénéficiant d’aucune ressource. Il se déduit de ces éléments qu’ils sont dans l’impossibilité de se reloger dans des conditions normales ; ils n’ont en effet pas les capacités financières pour se loger dans le parc privé et ne peuvent se voir attribuer un logement social à défaut de pouvoir justifier d’un séjour régulier en France ; il n’apparaît pas qu’une solution d’hébergement ait été proposée par les pouvoirs publics. » La Cour précise que l’expulsion aurait pour conséquence de placer les occupants dans des conditions de vie encore plus précaires, alors que le bailleur ne fournit aucune preuve de la dangerosité du lieu, ni n’établit l’importance de son préjudice financier. Par conséquent, elle juge que l’expulsion porterait une atteinte disproportionnée au droit des occupants de vivre dans des conditions décentes et accorde un délai de trois ans pour quitter les lieux.
CA Paris, 7 mai 2019, n° 18/26602
Trois familles sont installées sur un terrain, propriété du département. Le tribunal d’instance ordonne en référé leur expulsion tout en leur octroyant un délai jusqu’au 1er septembre pour quitter les lieux. Le département interjette appel de cette décision et sollicite une expulsion immédiate.
Procédant à un examen de proportionnalité entre le droit de propriété du département et le droit au respect de la vie privée des familles, les juges constatent que : « si le département […] invoque au soutien de sa demande d’expulsion sans délai l’imminence de la signature d’une promesse de vente et le projet immobilier prévu sur la parcelle occupée pour la construction notamment d’un foyer d’intérêt général […] cette circonstance ne justifie pas la mesure réclamée au regard du droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile qui doit être reconnu aux populations vulnérables. » En conséquence, le juge d’appel estime que les délais accordés en première instance sont justifiés et considère qu’en raison des démarches de relogement toujours en cours, il convient d’accorder aux familles un délai supplémentaire expirant le 30 janvier 2020.
TGI Melun, 11 octobre 2019, ordonnance n° 19/00282
Des personnes occupent, depuis mars 2019, un terrain situé à Lieusaint (Seine et Marne). L’établissement public d’aménagement du Sénart, propriétaire, saisit le juge des référés d’une demande d’expulsion. Le tribunal établit que l’occupation du terrain sans l’accord du propriétaire porte une atteinte manifeste au droit de propriété. Il prononce donc l’expulsion qui : « apparaît comme la seule mesure nécessaire, adaptée et de nature à rétablir pleinement les propriétaires dans leurs droits. »
Quant aux délais sollicités par les occupants pour quitter les lieux, le tribunal ne constate ni trouble à l’ordre public ou du voisinage, ni danger imminent. Il relève également que les occupants se trouvent en situation de grande détresse économique et sociale et : « que leur expulsion aurait pour seule conséquence d’aggraver plus encore leur situation puisqu’aucun autre lieu répondant à de meilleures conditions d’hébergement et de prise en charge n’a été proposé. » Il estime qu’une expulsion immédiate porterait une atteinte disproportionnée au droit à la vie privée et familiale des occupants et leur accorde un délai allant jusqu’au 11 avril 2020 pour quitter les lieux.
CA Lyon, arrêt n° 19-06932 du 23 juin 2020
Le juge relève que les défendeurs sont toujours en attente de traitement de leur demande d’asile et n’ont aucune solution alternative pour accéder au logement, surtout depuis le début de l’état d’urgence sanitaire. Il retient par ailleurs que le futur acquéreur est au courant de l’occupation du bien immobilier et que « l’impossibilité d’y accéder immédiatement n’est pas de nature à remettre en cause les engagements respectifs des parties soumises elles aussi aux contraintes sanitaires susvisées. » Il en déduit que le délai d’un an accordé aux défendeurs ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété de la Métropole et confirme donc la décision (TI Lyon, ordonnance du 24 septembre 2019, n° 1219-000197, voir infra p.32).
TJ de Montpellier, ordonnance du 25 novembre 2020
Le juge, se fondant sur l’article 835 du Code de procédure civile, ordonne l’expulsion des habitants, et estime qu’une voie de fait est caractérisée[8], mais relève que : « […] ledit juge doit composer avec le droit pour tous à un logement, droit qui revêt une importance fondamentale et grandissante dans notre système juridique. ». En l’espèce, il relève que si la société prétend que l’immeuble est voué à être détruit, elle n’en rapporte pas la preuve par la production d’un permis de démolir ou d’un planning de travaux. Se fondant ensuite sur l’article L. 412-3 du CPCE, le juge retient que le relogement des personnes visées par l’expulsion ne peut avoir lieu dans des conditions normales car plusieurs d’entre elles sont en attente de décision administrative ou judiciaire relative à leur présence sur le territoire national, et ne disposent pas de ressources suffisantes pour s’assurer un logement. Il retient que : « Dès lors, la présente juridiction doit assurer la proportionnalité entre la propriété d’un logement vide voué à la destruction sans qu’aucune date ne soit encore arrêtée pour cette dernière, et l’hébergement de personnes en situation précaire sur le territoire national ne pouvant se loger dans des conditions normales, sauf à vivre dans la rue à l’approche de la mauvaise saison et en période de confinement sanitaire en lien avec l’épidémie de Covid-19. » Il octroie par conséquent un délai de douze mois aux habitants pour quitter les lieux, durant lequel ces derniers devront payer une indemnité d’occupation mensuelle de 500 €.
CA Douai, arrêt n° RG 20/01520 du 8 avril 2021
Une Métropole forme un référé en vue d’obtenir l’expulsion de personnes d’un terrain appartenant à son domaine public. Le juge de première instance prononce l’expulsion, rejette la demande de suppression des délais et accorde un délai de trois mois pour quitter les lieux. Les habitants interjettent appel de l’ordonnance auprès de la Cour d’appel, qui relève que l’occupation du terrain constitue un trouble manifestement illicite et confirme l’expulsion, retenant que cette dernière est la seule mesure permettant au propriétaire de recouvrer son droit de propriété. Puis, elle infirme le jugement concernant l’octroi du délai de 2 mois à compter du commandement de quitter les lieux, affirmant que les habitants étaient nécessairement entrés par voie de fait du fait que des blocs de béton avaient été déplacés à l’entrée du chemin. Toutefois, la Cour confirme le bénéfice de la trêve hivernale, tenant compte de la présence de 20 enfants sur les lieux.
La Cour infirme ensuite l’ordonnance en accordant un délai de 6 mois aux habitants pour quitter les lieux, estimant que : « le relogement des appelants ne peut avoir lieu dans des conditions normales. » Elle note qu’en l’espèce 37 personnes vivent sur le terrain depuis septembre 2019, que les enfants sont scolarisés, et enfin que certains des appelants bénéficient d’un diagnostic SIAO et ont sollicité le dispositif d’hébergement d’urgence en octobre 2019. Enfin, concernant l’argument lié au fait que les habitants ont “profité” du délai de la procédure ayant duré 18 mois, la Cour admet qu’il doit en être tenu compte mais que cela ne fait pas obstacle à l’octroi d’un délai de 6 mois et du bénéfice de la trêve hivernale.
L’octroi de délais fondé sur la salubrité des lieux, la situation personnelle et professionnelle des personnes, les efforts d’insertion des parents, la scolarisation des enfants :
TGI Bobigny, 17 décembre 2014, n° 14/01830
Un délai de huit mois à partir de la date de notification de l’ordonnance est ainsi accordé pour les motifs suivants : Insertion des occupants et scolarisation des enfants : « Il est justifié que grâce à la mobilisation d’associations et de collectif [sic], des actions ont été entreprises pour assurer l’insertion des occupants : assistance médicale, orientations médico-sociales, alphabétisation, emploi […]. Il est justifié de la scolarisation des enfants. »
« Il est versé aux débats une attestation de la mission Bidonvilles qui précise que dans le cadre d’une collaboration entre Médecins du Monde et Plaine Commune, et concernant le ramassage des déchets, des containers ont été mis à disposition par la communauté d’agglomération et un ramassage d’ordures a été mis en place afin de garder le site sain. Une latrine a été installée. »
TI Ivry-sur-Seine, 3 mai 2016, n° 12-15-001767
Le demandeur soulève comme argument, parmi d’autres, pour demander l’expulsion, l’insalubrité des lieux. À cela, le juge rétorque que « les défendeurs ont produit des photographies des locaux ne laissant apparaître aucun élément d’insalubrité manifeste. […] Au surplus […] leur installation dans ces locaux leur a permis de stabiliser leur situation personnelle et professionnelle, particulièrement fragile ; qu’ainsi, ils font l’objet d’un suivi socio-professionnel, deux d’entre eux étant parvenus à trouver un emploi en contrat à durée indéterminée. De plus, ils justifient de la scolarisation des enfants et de leur suivi, tant sur le plan médical que scolaire. » Un délai de quitter les lieux de 9 mois leur est ainsi accordé.
CA Douai, 6 octobre 2016, n° 15/07195
« Attendu […] qu’il ressort du rapport des deux associations qui accompagnent la famille, que cette dernière est très impliquée dans sa volonté de réinsertion sociale ; qu’en l’état aucun hébergement même d’urgence n’a pu être trouvé mais que la situation évolue dans la mesure où M. X. bénéficie d’un contrat de travail de 6 mois […] ; qu’une expulsion sans solution d’hébergement compromettrait l’insertion de la famille ; […] ». Dans le cas d’espèce, le juge accorde un délai supplémentaire de deux mois en plus des deux mois prévus par l’article L. 412-1 du CPCE et le sursis à l’expulsion lors de la trêve hivernale, prévu à l’article L. 412-6 du même code (cf. ci-dessous).
CA Douai, 3 novembre 2016, n° 16/00999
« Attendu d’un autre côté, qu’il ressort des documents produits, et notamment du témoignage d’un membre de l’association “L’atelier solidaire“ qui accompagne les occupants, que ces derniers sont régulièrement suivis, que les enfants âgés entre 6 et 16 ans sont presque tous scolarisés, que plusieurs adultes suivent des cours d’alphabétisation, que beaucoup d’entre eux sont inscrits à Pôle Emploi et qu’ils sont demandeurs de contrats d’insertion (deux contrats étant versés aux débats ; qu’en l’état aucun hébergement même d’urgence n’a pu être trouvé, hormis pour une famille ; Attendu qu’au vu de ces éléments et des droits respectifs des parties il y a lieu d’ordonner l’expulsion des occupants du terrain mais de leur accorder un délai supplémentaire pour quitter les lieux, fixé à quatre mois à compter de la signification du présent arrêt […] ».
Le juge constate également l’emplacement du terrain occupé, situé à proximité de voies de circulation routière et ferroviaire ainsi que d’un bassin d’orage et d’un puits d’assainissement très profond.
TI Évry, 9 novembre 2016, n° 12/16-000180
Concernant l’octroi des délais, le juge estime encore que : « malgré un accompagnement social limité et l’absence de justificatifs de démarches actives dans la recherche d’une solution de relogement, il est justifié de ce que cinq des enfants observent actuellement une scolarisation dans plusieurs communes à proximité des lieux occupés. La fin de la trêve hivernale intervenant le 31 mars de chaque année soit trois mois avant la fin de l’année scolaire, il apparaît primordial de ne pas entraver la démarche de scolarisation des enfants qui tient une part importante dans leur intégration […] ».
CA Paris, 5 avril 2018, n° 17 01697
Après avoir fait droit à la demande d’expulsion, le juge dit qu’il convient d’examiner la demande de délais dans le respect du principe de proportionnalité. Le juge relève plusieurs éléments produits aux débats :
- Les personnes habitant le terrain « sont dans une situation sociale particulièrement précaire et appartiennent à un groupe social fragilisé. »
- « Il n’a pas été argué […] de ce que des solutions de relogement adaptées leur auraient été proposées dans un court terme. »
- Les enfants sont scolarisés.
- De nombreuses pièces justifient des « efforts d’insertion des personnes concernées ».
Il alloue en conséquence un délai de 18 mois aux habitants pour quitter les lieux.
TI Pantin, 19 novembre 2019, n° 12-19-000197
Concernant la demande de délai des occupants, le juge estime que le péril imminent soulevé par le propriétaire n’est pas constitué. Il constate également que les occupants ont réhabilité les lieux pour en faire un centre d’activités culturelles et sociales hébergeant des personnes en grande précarité. Il souligne l’occupation paisible des lieux et la volonté des occupants de trouver une solution amiable avec le propriétaire. En conséquence, il fait droit à la demande de maintien dans les lieux jusqu’au début des travaux de construction envisagés par la ville, dans la limite de trois ans. Le juge invite également les occupants et le propriétaire à rencontrer un conciliateur de justice afin de trouver un accord sur l’occupation des lieux : « notamment par la conclusion d’une convention d’occupation précaire des lieux visant à sécuriser et stabiliser les lieux. »
TI Limoges, 29 octobre 2019, n° 19-000967
Concernant la demande de délai formulée par les occupants, le juge constate d’une part que le propriétaire ne démontre pas l’imminence de son projet de réhabilitation et d’autre part que le relogement des occupants : « ne peut avoir lieu dans des situations normales en raison de la situation administrative irrégulière de la majorité d’entre eux […] et dont les demandes de logement de secours se heurtent à la saturation du dispositif d’hébergement. » Il juge que l’expulsion porterait une atteinte majeure au droit à la protection du domicile des occupants et serait contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant. Il décide, conformément à la Convention internationale des droits de l’enfant, d’accorder des délais aux occupants permettant aux enfants de finir leur année scolaire. Il précise dans sa décision : « il sera octroyé aux défendeurs un délai supplémentaire pour quitter les lieux qui sera cependant limité compte tenu des risques sanitaires générés par l’occupation du site, soit jusqu’au 15 juillet 2020. »
CA Montpellier, 27 mai 2021, arrêt n° RG20/04619
Des familles vivant sur un terrain appartenant au domaine privé d’une Métropole sont visées par une procédure d’expulsion en référé. Après que celle-ci ait été prononcée par le tribunal, les familles interjettent appel de l’ordonnance auprès de la Cour d’appel. La Cour retient que l’occupation cause un trouble manifestement illicite au droit de propriété et confirme l’ordonnance d’expulsion mais accorde un délai aux appelants pour quitter les lieux en raison de l’absence de solution de relogement. A cet égard la Cour retient que : « il apparaît en revanche que les appelants justifient des diligences entreprises depuis plusieurs années pour mettre en place des solutions de nature à permettre leur insertion […]. » Selon la Cour ces derniers sont en effet en attente d’une orientation par le SIAO et les enfants sont scolarisés. Par conséquent la Cour relève que l’expulsion immédiate sans solution pérenne de logement pourrait avoir des conséquences disproportionnées pour les familles, d’autant que la Métropole ne justifie d’aucun projet en cours actuellement sur les parcelles litigieuses. Le juge prononce l’expulsion et accorde un délai d’un an aux habitants pour quitter les lieux.
L’octroi de délais fondé sur l’inutilité des locaux, l’absence de solution de relogement et la nécessité de mettre en place des mesures d’accompagnement social
TI Évry, 3 avril 2018, n° 11-17-002066
« En outre, il est non seulement constaté que [la société demanderesse] ne justifie pas de l’existence de démarches devant permettre un hébergement d’urgence de ces familles, mais son représentant souligne […] que “les locaux sont vides depuis plusieurs années, il n’y a aucune activité sur le site. Le terrain est toujours en vente. Personne n’est intéressé actuellement concernant l’achat du terrain. Dans ces conditions, et pour faciliter la mise en œuvre de mesures d’accompagnement social aux fins de relogement, il conviendra d’accorder aux occupants des lieux, sur le fondement de l’article L. 412-3 du code précité un délai de 8 mois, à compter de la signification de la présente décision, pendant lequel l’expulsion ne pourra pas avoir lieu. »
TJ Lyon, ordonnance n° 12-20-000054 du 24 juillet 2020
Le juge relève que la Métropole ne démontre pas l’existence d’un projet concret visant l’immeuble, et que celle-ci ne s’est rendu compte de son occupation qu’un an après l’installation des personnes. Il relève que les personnes jouissent paisiblement du lieu, que les riverains s’accommodent parfaitement de leur présence, et qu’elles ont pour la plupart introduit une demande d’asile « depuis un an voire deux, après un parcours migratoire lourd », après avoir vécu dans d’autres squats démantelés ou à la rue dans des conditions précaires. Il ajoute que le lieu n’est pas dangereux, et que la Métropole sait que les délais de mise en place de solutions d’hébergement pérenne sont longs. Il affirme enfin « que le contexte de tension actuelle pour les jeunes migrants, mais aussi la crise sanitaire récente conduit à la mobilisation de nombreuses associations qui après mise en œuvre de l’expulsion conduira à l’occupation d’autres bâtiments publics ou privés, précarisant encore davantage ces personnes. ». Il accorde donc un délai de 2 ans pour quitter les lieux.
L’octroi de délais fondé sur l’absence de projet imminent prévu sur les lieux litigieux, l’appartenance à un groupe socialement défavorisé, la présence d’enfants scolarisés
TI Montreuil, 13 mars 2015, n° 11-14-000211
« Dès lors, en l’absence de projet spécifique de la commune justifiant la récupération des lieux, en l’absence de trouble à l’ordre public et en l’absence de démarches, par la mairie, pour apporter à ces familles démunies une solution alternative à l’expulsion, il sera considéré que cette expulsion porte une atteinte disproportionnée au droit à un domicile et à une vie familiale et privée normale. La demande en expulsion de la commune sera donc rejetée. »
TI Saint Denis, 20 novembre 2017, n° 12-17-494
« En l’espèce, si les demandeurs apportent bien la preuve du projet de restructuration urbaine, que l’occupation des lieux litigieux par les défendeurs retarde ou empêche, les permis de démolir et de construire qu’ils produisent à cet égard datent de fin 2015 et aucune pièce ne démontre l’imminence des travaux dont la réalisation est projetée. »
« Par ailleurs, au vu des démarches entreprises par les défendeurs pour se reloger et qui sont demeurées vaines à ce jour, de leur appartenance à un groupe socialement défavorisé qui rend ces recherches plus difficiles, des conditions actuelles anormalement difficiles de leur relogement, de la scolarisation en cours des enfants, et de la présence d’enfants en bas âge, il convient d’accorder aux défendeurs un délai de trois mois à compter de la signification de la présente décision, pour quitter les lieux. »
TI Saint Denis, 16 avril 2018, n° 12-17-001698
Les défendeurs sollicitent un délai de 18 mois pour quitter les lieux. Le juge souligne que la société demanderesse « justifie d’un projet d’aménagement », mais « sans justifier d’un état plus avancé du projet » que l’existence d’une étude urbaine en vue d’une réunion de pilotage. Il relève également que l’établissement « ne démontre pas en quoi les conditions d’occupation des lieux présenteraient un risque particulier pour la sécurité des biens et des personnes ou pour leur santé ». Il poursuit en estimant que « afin de tenir compte de l’appartenance des défendeurs à un groupe socialement défavorisé pour rechercher un hébergement et pour permettre aux enfants scolarisés de terminer leur année scolaire plus sereinement, il y a lieu d’accorder aux intéressés un délai supplémentaire de deux mois à compter de la signification de la présente ordonnance. ».
IV. Les délais accordés aux habitants de bidonvilles et squats dont l’expulsion a été ordonnée
Certains délais sont applicables de droit, c’est-à-dire que, par principe, l’exécution de la décision d’expulsion ne peut avoir lieu qu’après un délai de deux mois suivant le commandement de quitter les lieux (article L. 412-1 du CPCE) et en dehors de la période de trêve hivernale qui s’étend du 1er novembre au 31 mars de chaque année (article L. 412-6 du CPCE). Les textes, récemment modifiés par la loi ELAN de 2018[9] et par la loi du 7 décembre 2020, prévoient cependant plusieurs exceptions :
- Lorsque le juge constate que les personnes concernées par l’expulsion sont entrées dans des locaux[10] par voie de fait, le bénéfice des dispositions relatives au délai de deux mois suivant le commandement de quitter les lieux est désormais systématiquement supprimé.
- Concernant les dispositions relatives au bénéfice de la trêve hivernale (article L 412-6 CPCE) :
- Le juge peut décider de la réduire ou de la supprimer si les personnes sont entrées dans des lieux habités (tout autre lieu que le domicile) par voie de
- Elles ne sont pas applicables lorsque l’entrée par voie de fait concerne le “domicile d’autrui”, qu’il s’agisse de sa résidence principale ou secondaire[11]). Cependant, la majorité des squats concerne des bâtis vacants.
En vertu de l’article L. 412-2 du CPCE, le juge peut décider de proroger le délai de deux mois du commandement de quitter les lieux, dans la limite d’au maximum trois mois, « lorsque l’expulsion aurait pour la personne concernée des conséquences d’une exceptionnelle dureté, notamment du fait de la période de l’année considérée ou des circonstances atmosphériques. »
CA Toulouse, 11 avril 2019, n° 2019/353 et n° 2019/352
Concernant le délai supplémentaire de 3 mois accordé par le juge de première instance, la Cour estime qu’ils doivent être confirmés au regard de la précarité financière et matérielle des requérants, de leur état de santé, de la présence d’enfants en bas-âge et des recherches d’hébergement effectuées.
- Restriction ou suppression du délai du commandement de quitter les lieux ou de la trêve hivernale : l’entrée par la voie de fait
La caractérisation de la voie de fait est interprétée de manière variable par les différentes juridictions.
Pour certains juges, l’occupation sans titre ou l’atteinte au droit de propriété emporte par elle-même l’existence d’une voie de fait :
CA Lyon, 31 mars 2015, n° 14/01543
« Il est constant que les occupants des deux logements […] ont pénétré dans une propriété privée du CCAS sans droit ni titre en sachant qu’ils n’avaient aucun droit d’y pénétrer et encore moins de s’y installer. Il y a donc eu voie de fait […] peu important en la matière que ces personnes n’aient pas eu éventuellement à forcer la porte d’entrée pour pénétrer dans les lieux, l’irrégularité sanctionnable en la matière n’étant pas obligatoirement caractérisée par une violence physique quelconque mais par une occupation pérenne niant, par la seule présence non désirée des occupants, le principe constitutionnel du droit de propriété. »
TI Marseille, 11 janvier 2018, n° 12-17-004167
Le juge souligne que les constatations de l’huissier prouvent qu’il y a eu effraction, suite à quoi il rajoute « en tout état de cause, la pénétration des personnes dans une propriété privée, sans autorisation du propriétaire constitue en soi une voie de fait. »
TI Marseille, 18 juillet 2019, n° 12-19-001491
Les occupants d’un immeuble sont assignés par le propriétaire devant le tribunal d’instance aux fins d’expulsion. Appliquant la décision de la Cour de cassation du 4 juillet 2019, le tribunal ordonne l’expulsion des occupants en indiquant : « qu’il convient donc de faire cesser le trouble manifestement illicite caractérisé par l’atteinte au droit de propriété de […] en ordonnant l’expulsion sollicitée. » Le juge précise que : « En l’occurrence, même si la voie de fait n’a pas été clairement évoquée ni débattue, il convient de constater qu’une atteinte a été portée au droit de propriété, qui est un droit fondamental », et en déduit l’existence d’une voie de fait par les occupants. Le juge accorde toutefois un délai de six mois aux occupants pour quitter les lieux au regard du défaut de solution alternative à leur relogement, de l’absence de dégradation de l’immeuble et de la précarité de leur situation sociale.
TI Lyon, 24 septembre 2019, n° 1219-000197
Le juge reconnait la voie de fait en considérant que : « chacun des occupants, en pénétrant à son tour dans les lieux connus comme étant un squat, fût-il envoyé par une ou plusieurs associations débordées face au nombre de migrants et à l’insuffisance de places d’hébergement officielles, puis en s’y maintenant contre la volonté du propriétaire, ne peut ignorer l’effraction initiale et endosse la responsabilité entière du procédé initialement mis en œuvre. » Le juge rappelle cependant que la voie de fait ne fait pas perdre automatiquement le délai de la trêve hivernale lorsque l’occupation ne porte pas sur le domicile du propriétaire.
NB : Cette ordonnance de référé a été confirmée par la Cour d’appel de Lyon par une ordonnance du 23 juin 2020, n° 19-06932 (voir supra).
TJ Lyon, ordonnance n° 12-20-000054 du 24 juillet 2020
Le juge relève que les personnes occupent le lieu sans droit ni titre et que l’occupation par elle-même constitue un trouble manifestement illicite au sens de l’article 835 du Code civil. Il considère que la voie de fait est caractérisée par le fait que les personnes revendiquent cette occupation, et supprime donc le délai de 2 mois. Le juge poursuit en affirmant qu’il lui revient d’apprécier « la proportionnalité des conditions de mises en œuvre de la mesure d’expulsion avec les intérêts des défendeurs et leur demande de délai pour quitter les lieux, à l’aune de leur droit au respect de la vie privée et familiale, de leur droit à la dignité et de leur droit au logement, qui sont de valeur égale au droit de propriété de la Métropole […]. »
Tandis que d’autres juges estiment que l’existence d’une voie de fait doit être prouvée et ne résulte pas de la simple occupation sans titre
CA Grenoble, 22 avril 2014, n° 13-04492
Le juge a constaté la voie de fait, dont la preuve est établie en l’espèce sur la base des « rapports d’information dressés par la police municipale de la commune, qui ont valeur probante dès lors qu’ils ne sont pas contredits par d’autres pièces, [et] établissent que les lieux avaient été fermés par un cadenas sur le portail et que les accès avaient été condamnés pour éviter l’entrée de tout squatter. »
TI Ivry sur Seine, 16 octobre 2015, n° 12-14-000086
Le juge refuse de supprimer les délais des articles L. 412-1 et suivants du CPCE car il estime que la société demanderesse « ne rapporte pas suffisamment la preuve de l’existence d’une voie de fait. Celle-ci ne saurait résulter de la simple occupation sans droit ni titre des locaux et suppose des actes matériels positifs de la part des occupants, tels que des actes de violence ou d’effraction ». Pour aboutir à cette conclusion, le juge prend en compte le fait que le procès-verbal d’huissier produit par la société « ne fait aucunement état de traces d’effraction ou de dégradations sur les portes d’accès de l’immeuble » tandis que les défendeurs « précisent que le bâtiment est vide depuis 2011 et qu’ils s’y sont installés sans commettre aucune effraction, les portes d’accès n’étant pas fermées lorsqu’ils s’y sont installés. »
TI Ivry-sur-Seine, 3 mai 2016, n° 12/15-001767
Aux yeux du juge, « en l’espèce, aucune circonstance particulière […] ne justifie que le délai de deux mois prévu par les dispositions de l’article L. 412-1 et suivants du CPCE soit réduit ou supprimé. En effet [les demandeurs] ne rapportent pas suffisamment la preuve de l’existence d’une voie de fait. Celle-ci ne saurait résulter de la simple occupation sans droit ni titre des locaux, et suppose des actes matériels positifs de la part des occupants assignés eux-mêmes, tels que des actes de violence ou d’effraction. »
TI Villeurbanne, 14 février 2018, n° 12-18-000002
Le juge caractérise l’existence d’une voie de fait car « il résulte des procès-verbaux […] que l’habitation litigieuse a été murée en rez-de-chaussée et que des parpaings ont été détruits par endroits. »
TI Évry, 3 avril 2018, n° 11-17-002066
« […] le procès-verbal d’huissier […] constate qu’un portillon et un portail extérieurs ont été forcés, ainsi que la porte d’entrée des locaux. Cependant, le représentant de la [partie demanderesse] fait état de ce que les locaux sont vides depuis plusieurs années. Il s’ensuit que la preuve de l’entrée dans les lieux par voie de fait de ses occupants actuels ne constitue qu’une présomption. »
CA Toulouse, 11 avril 2019, n° 2019/352, et n° 2019/353
Concernant le délai légal de deux mois suivant le commandement de quitter les lieux, la Cour rappelle qu’il est supprimé de plein droit en cas d’entrée dans les lieux par voie de fait. Il appartient cependant au propriétaire de démontrer la voie de fait. En l’espèce, elle estime que la plainte émanant du bailleur lui-même basée sur l’enlèvement d’une porte anti-squat et son remplacement ne suffit pas à justifier d’une voie de fait. En conséquence, elle juge que les conditions de suppression du délai de deux mois ne sont pas réunies.
TI Pantin, 19 novembre 2019, n° 12-19-000197
En l’espèce, le juge affirme que la suppression du délai prévu par l’article L. 412-1 du Code des procédures civiles d’exécution ne peut se déduire de la seule occupation des lieux. Il constate que le propriétaire : « ne rapporte pas la preuve d’un acte positif commis par les défendeurs, matérialisé par dégradation ou non, ayant eu pour conséquence de permettre la pénétration [dans les lieux]. » Il juge que la voie de fait n’étant pas caractérisée, le propriétaire doit être débouté de sa demande de suppression du délai suivant le commandement de quitter les lieux et de la trêve hivernale.
TJ Gap, ordonnance n° RG 12-20-000119 du 5 janvier 2021
Dans le cadre d’une procédure d’expulsion en référé, des propriétaires allèguent l’existence d’une voie de fait et à ce titre demandent la suppression des délais prévus par le Code des procédures civiles d’exécution. Le juge relève que le remplacement de la chaîne et du cadenas installés par les propriétaires par une autre chaîne cadenassée caractérise l’existence d’une voie de fait. Toutefois le juge relève que ces derniers ne démontrent pas que ce changement de chaîne est imputable aux habitants et que : « La circonstance qu’ils en profitent, en étant dans les lieux, ne suffit pas à caractériser qu’ils sont à l’origine de l’entrée par effraction, et donc de la voie de fait. » Le juge ordonne l’expulsion des habitants et leur accorde un délai de 6 mois pour quitter les lieux.
CA Paris, arrêt n° 21/02690 du 4 novembre 2021
Un EPCI gestionnaire d’un terrain appartenant à l’Etat, forme un référé en vue d’obtenir l’expulsion de familles y vivant. Invoquant une entrée dans les lieux par voie de fait, elle requiert que les dispositions relatives au délai de 2 mois à compter de la notification du commandement de quitter les lieux ne soient pas appliquées ainsi que la suppression du bénéfice de la trêve hivernale. Le juge du tribunal judiciaire ayant prononcé un non-lieu à référé, le requérant interjette appel de la décision auprès de la Cour d’appel.
Le juge prononce l’expulsion des occupants. Sur la demande de délais, le juge relève que : « S’agissant de la voie de fait, elle ne saurait résulter de la seule occupation sans droit ni titre du terrain et suppose des actes matériels positifs tels que des actes de violence ou d’effraction. » Or, en l’espèce le juge estime que le requérant ne prouve pas l’existence d’une effraction ni que le terrain faisait l’objet d’un quelconque projet de construction. Le juge octroie aux habitants le bénéfice du délai de deux mois après le commandement de quitter les lieux et de la trêve hivernale. Le juge accorde également un délai de deux mois au titre des articles L. 412-3 et 4 du CPCE, relevant que les personnes appartiennent à un groupe socialement défavorisé pour rechercher un logement, sont en situation précaire compte tenu de leurs difficultés d’insertion et de leur situation de fortune, et que le propriétaire ne démontre pas d’urgence à récupérer la jouissance de son bien.
Depuis la loi ELAN du 23 novembre 2018, la suppression du délai de deux mois après le commandement de quitter les lieux est automatique si l’entrée par voie de fait dans un lieu habité est prouvée et retenue par le juge. (article L. 412-1 CPCE). Mais :
-Le juge peut accorder le bénéfice de la trêve hivernale si le lieu ne constitue pas le domicile du propriétaire[12], et octroyer des délais pour quitter les lieux. (article L. 412-6 CPCE)
-De plus, le juge peut, même si la voie de fait est établie, octroyer des délais de 3 mois à 3 ans pour quitter les lieux, au regard de la situation des occupants. (articles L. 412-3 et L. 412-4 CPCE).
En l’absence d’entrée par voie de fait dans un lieu habité qui n’est pas le domicile d’autrui, le juge ne peut pas supprimer le bénéfice des dispositions en question.
TI Ivry-sur-Seine, 3 mai 2016, n° 12/15-001767
Aux yeux du juge, « en l’espèce, aucune circonstance particulière […] ne justifie que le délai de deux mois prévu par les dispositions de l’article L. 412-1 et suivants du CPCE soit réduit ou supprimé. En effet [les demandeurs] ne rapportent pas suffisamment la preuve de l’existence d’une voie de fait. Celle-ci ne saurait résulter de la simple occupation sans droit ni titre des locaux, et suppose des actes matériels positifs de la part des occupants assignés eux-mêmes, tels que des actes de violence ou d’effraction. »
TI Raincy, 5 septembre 2016, n° 12-16-000160
« Le demandeur ne rapporte pas suffisamment la preuve de l’existence d’une voie de fait. Celle-ci ne saurait résulter de la simple occupation sans droit ni titre des locaux et suppose des actes matériels positifs de la part des occupants, tels que des actes de violence ou d’effraction. Le rapport de police produit ne fait aucunement état de traces d’effraction ou de dégradation. »
TI Évry, 9 novembre 2016, n° 12/16-000180
À la demande de la société propriétaire du terrain occupé d’écarter les délais prévus aux articles L. 412-1 et suivants du CPCE, le juge oppose une fin de non-recevoir. En effet, il estime que la preuve d’une installation par voie de fait n’a été produite, « aucune effraction ni violence à l’entrée dans les lieux n’étant caractérisée. De plus, il n’y a pas lieu de tenir compte de la destination commerciale originaire des lieux, ces derniers étant aujourd’hui utilisés [sic] à usage d’habitation. »
TGI Meaux, 25 janvier 2018, n° 17000664
« […] il ne ressort d’aucune pièce versée aux débats que les défendeurs soient entrés sur les lieux par voie de fait, aucune dégradation n’étant notamment relatée par l’huissier sur une barrière ou une clôture d’accès, dont l’existence n’est d’ailleurs pas mentionnée. Il n’y a dès lors par lieu de supprimer le délai visé à l’article L. 412-1 du [CPCE]. »
TI Villeurbanne, 14 février 2018, n° 12-18-000002
Le juge caractérise l’existence d’une voie de fait car « il résulte des procès-verbaux […] que l’habitation litigieuse a été murée en rez-de-chaussée et que des parpaings ont été détruits par endroits », mais il relève que « les lieux sont occupés par plusieurs personnes dont une jeune femme avec un bébé. » Il considère alors que « la situation de précarité des occupants se déduit de ces éléments, l’occupation volontaire d’un immeuble dont l’accès est interdit par des parpaings et qui est destiné à la destruction résultant nécessairement d’une situation de nécessité et non d’un choix en cette période de l’année ; une expulsion en plein hiver aura pour ces occupants des conséquences pour leur vie privée et familiale, en ce qu’elle risque de les contraindre à vivre dans des conditions indécentes mettant en danger leur santé et leur sécurité. » Rejetant l’argument de l’urgence caractérisée par la suspension de la vente du bien et un risque d’annulation de celle-ci, le juge estime finalement qu’il « n’y a pas lieu de faire droit à la demande de suppression du délai de deux mois et de la trêve hivernale […] même si l’entrée dans les lieux par voie de fait est établie. »
TI Évry, 3 avril 2018, n° 11-17-002066
« […] le procès-verbal d’huissier […] constate qu’un portillon et un portail extérieurs ont été forcés, ainsi que la porte d’entrée des locaux. Cependant, le représentant de la [partie demanderesse] fait état de ce que les locaux sont vides depuis plusieurs années. Il s’ensuit que la preuve de l’entrée dans les lieux par voie de fait de ses occupants actuels ne constitue qu’une présomption. »
TI Paris, 18 septembre 2019, n° 653/2019
Le juge refuse d’établir la voie de fait en considérant : « qu’aucun élément ne permet de caractériser l’intervention de l’un ou l’autre des occupants actuels comme à l’origine des désordres. »
Il accorde également un délai de 6 mois aux occupants pour quitter les lieux : « afin de permettre que puissent être mises en œuvre les mesures d’accompagnement. »
CA Paris, arrêt n° RG 21/04127 et RG 21/04129 du 10 novembre 2021
Une commune assigne en expulsion des familles vivant sur un terrain appartenant à son domaine privé. Au stade de l’appel, le juge prononce leur expulsion, relevant que les familles ne démontrent pas de liens d’ancrage suffisants avec les lieux et la commune et l’existence d’un projet de réhabilitation en cours. Toutefois le juge octroie aux habitants le bénéfice du délai de deux mois après le commandement de quitter les lieux et de la trêve hivernale, relevant que les éléments du constat d’huissier sont insuffisants pour démontrer l’existence d’une voie de fait, celle-ci ne pouvant résulter de la simple occupation sans droit ni titre, d’autant que les lieux ne constituent pas le domicile d’autrui.
Pour aller plus loin, voir : « La voie de fait opposée aux habitants de squats et bidonvilles », Droits des habitants de terrains et squats, Mars 2021
En vertu des articles L. 412-3 et 4 du CPCE, le juge peut accorder des délais de 3 mois à 3 ans[13] pour quitter les lieux lorsqu’il prononce l’expulsion. A compter de la délivrance du commandement de quitter les lieux, le juge de l’exécution est compétent pour accorder ces délais ; l’appréciation des juges concernant l’application de ces délais aux squats et terrains était très variable jusqu’à ce que la loi ‘‘Égalité et citoyenneté’’[14] vienne remplacer les termes de “locaux d’habitation ou à usage professionnel” par les termes de “lieux habités ou de locaux à usage professionnel”. Si désormais la possibilité d’appliquer ces délais aux terrains n’est plus remise en cause, les juges se basent sur des arguments très divers pour les accorder ou non.
De nombreuses décisions relatives à l’octroi de délais supplémentaires par le juge du fond sont disponibles dans la sous-partie III – B – 2 – b) – §2 – b. Portée de l’examen de proportionnalité au regard des conséquences respectives de l’occupation et d’une décision d’expulsion : pouvoir du juge limité à l’octroi de délais. Il convient de se référer à cette sous-partie pour accéder à ces décisions.
TGI Bobigny, JEX, 24 janvier 2013, n° 12/13284
[…] « le campement occupé par au moins 150 personnes n’est pas alimenté en eau, qu’à l’entrée et autour du campement existent des monticules de déchets, que les conditions d’hygiène sont déplorables ; il apparaît cependant que beaucoup d’enfants occupent le camp, qu’un certain nombre est scolarisé dans des établissements scolaires voisins et qu’un suivi médical est effectué par l’organisation Médecins du Monde, comme en atteste le compte rendu de vérification effectué par la défenseure des enfants […]. Par ailleurs, l’AFTRP allègue mais ne justifie pas que l’occupation ne serait pas paisible ; ainsi la lecture du procès-verbal de constat […] ne permet pas de conclure l’existence d’une activité de récupération de matériaux comme le soutient la défenderesse ; pas plus que le procès-verbal de plainte […] et le simple certificat de constatation de blessures versés aux débats ne permettent de retenir la responsabilité des occupants du terrain dans la commission d’une quelconque infraction. »
Le juge estime également que le propriétaire du terrain ne démontre pas l’entrée par voie de fait ni que le chantier de reconstruction du collège proche du terrain serait compromis par la présence du bidonville. Par conséquent, il décide d’accorder des délais supplémentaires : « Au vu de l’ensemble de ces éléments et nonobstant les délais dont ont déjà bénéficié les demandeurs, eu égard à leur situation d’extrême précarité, à la nécessité de trouver une solution de relogement, il y a lieu d’accorder à ces derniers un délai jusqu’au 15 avril 2013 pour quitter les lieux. »
TGI Nantes, JEX, 2 avril 2013, n° 13/0112
Le juge relève ici que « les occupants installés sur le site depuis quelques mois sont exposés à un état de grande précarité avec des charges de famille sans solution immédiate de repli dans des conditions décentes. Dès lors, pour permettre de sauvegarder la dignité de cette communauté de Roms conformément à l’esprit de la Charte sociale européenne et au respect des principes fondateurs de la république sur l’égal traitement des personnes en situation de détresse sociale, l’octroi d’un délai de rémission est impératif. Il est en effet nécessaire de laisser à la Puissance Publique […] le temps d’apporter une réponse adaptée et de dégager une solution alternative comme le préconise la circulaire interministérielle du 26 août 2012. » Le juge sursoit à l’expulsion durant 3 mois à compter du jugement.
Dans le même sens : TGI Nantes, JEX, 15 octobre 2012, n° 12/04352
CA Paris, 29 janvier 2016, n° 14/21925
Après avoir ordonné l’expulsion, le juge est amené à se prononcer sur la demande à titre subsidiaire présentée par les intimés d’un délai jusqu’à la fin de l’année scolaire pour quitter les lieux. Il relève à ce titre « que les appelants essayent d’entretenir leur logement dans des conditions décentes ; qu’en ce qui concerne les ordures qui encombrent les bennes à ordures du passage Victor Hugo situé sur la voie publique, il appartient aux services de la mairie et de la commune de faire procéder au ramassage des ordures afin d’assurer des conditions d’hygiène et de santé publique satisfaisantes pour les habitants des lieux. »
Il constate également les efforts des habitants pour entretenir de bonnes relations avec leur voisinage et s’intégrer dans leur quartier, notamment par l’apprentissage du français. Par ailleurs, leurs enfants sont scolarisés depuis plusieurs années. Enfin, ils ont effectué des démarches auprès de la mairie en vue de leur relogement. Un suivi médical de la famille est également assuré. Il estime donc « Qu’en conséquence, il convient, dans l’intérêt supérieur de l’enfant et pour assurer le respect effectif de la vie privée et familiale et, ajoutant à l’ordonnance entreprise, de faire droit à la demande de délais », suspendant ainsi l’expulsion jusqu’en juillet 2016, date de la fin de l’année scolaire.
[1] Et non par le parquet comme cela était soutenu par le préfet dans ses conclusions.
[2] Une ordonnance du 26 juin 2017 avait enjoint l’Etat à installer sur ce site des points d’eau, des toilettes, et organiser une distribution alimentaire par le biais d’une association.
[3] L’atteinte à la liberté individuelle supposant l’existence d’une privation de liberté.
[4] Modifié par Loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 – article 73
[5] BOFFA R., « la propriété et le contrôle de proportionnalité », Recueil Dalloz, 2019 p.2163.
[6] Idem.
[7] Voir infra p.23-24
[8] Sur l’appréciation de l’existence d’une voie de fait des habitants par le juge judiciaire, voir infra (citer)
[9] Loi n°2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique.
[10] Cette formulation, qui ne mentionne que les occupations de « locaux », et non de « lieux habités », peut laisser penser que seuls les occupants de squats sont concernés par la suppression de ce délai, et non les occupants de bidonvilles. Cette interprétation se fera au cas par cas devant les tribunaux.
[11] Article 38 de la loi DALO de 2007 modifiée par la loi relative à l’accélération et la simplification de l’action publique (‘‘ASAP’’) : « En cas d’introduction et de maintien dans le domicile d’autrui, qu’il s’agisse ou non de sa résidence principale à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou de contrainte, la personne dont le domicile est ainsi occupé ou toute personne agissant dans l’intérêt et pour le compte de celle-ci peut demander au préfet de mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux, après avoir déposé plainte, fait la preuve que le logement constitue son domicile et fait constater l’occupation illicite par un officier de police judiciaire.
La décision de mise en demeure est prise par le préfet dans un délai de 48h à compter de la réception de la demande. Seule la méconnaissance des conditions prévues au premier alinéa ou l’existence d’un motif impérieux d’intérêt général peuvent amener le préfet à ne pas engager la mise en demeure En cas de refus, les motifs de la décision sont, le cas échéant, communiqués sans délai au demandeur. La mise en demeure est assortie d’un délai d’exécution qui ne peut être inférieur à 24h. […] »
[12] Depuis la loi ASAP du 7 décembre 2020, la résidence principale ou secondaire d’une personne peut être considérée comme le domicile d’autrui
[13]https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000025024948/LEGISCTA000025026032/#LEGISCTA000033974717
[14] Loi Égalité et Citoyenneté n°2017-86 du 27 janvier 2017
CHAPITRE 2. LES EXPULSIONS ORDONNÉES PAR LE JUGE ADMINISTRATIF : LE REFERE MESURES UTILES
En principe, le propriétaire de la dépendance du domaine public qui souhaite obtenir l’expulsion du bien immobilier occupé doit préalablement saisir le juge administratif.
Le “référé mesures utiles” (Code de justice administrative, article L. 521-3) est le moyen le plus fréquemment utilisé par les personnes publiques lorsqu’elles veulent obtenir l’expulsion d’un terrain appartenant au domaine public. Le tribunal administratif saisi peut enjoindre aux occupants de quitter ce terrain dans un certain délai et dire qu’il pourra être fait appel à la force publique pour faire exécuter l’injonction à l’expiration de ce délai (ci-dessous).
Toutefois, sous certaines conditions, l’administration peut décider de l’évacuation d’un terrain – qu’il fasse ou non partie du domaine public – sans saisine préalable du juge, sur le fondement de ses pouvoirs de police. L’autorité de police municipale – le maire de la commune ou le préfet, selon les cas – peut édicter un arrêté ordonnant l’évacuation sur le fondement de l’article L. 2212-2 ou de l’article L. 2215-1 du Code général des collectivités territoriales, qui confie à l’autorité de police la mission d’assurer la sûreté, la sécurité, la tranquillité et la salubrité publiques (voir chapitre III).
L’exécution d’office, impliquant le concours de la force publique, de l’arrêté du maire ou du préfet ou de la décision du juge enjoignant aux intéressés d’expulser ou d’évacuer le terrain qu’ils occupent, est, elle aussi, soumise à certaines conditions (voir chapitre IV). Des recours sont possibles pour contester les décisions prononçant l’expulsion ou les arrêtés d’évacuation ou le recours à la force publique pour les faire exécuter (voir infra).
I. Conditions de forme du référé mesures utiles
La personne publique peut saisir le juge administratif sur le fondement de l’article L. 521-3 du Code de justice administrative et demander au juge des référés l’expulsion des occupants sans titre de son domaine public assortie du concours de la force publique en cas d’inexécution de la mesure. Selon l’article précité « en cas d’urgence et sur simple requête qui sera recevable même en l’absence de décision administrative préalable, le juge des référés peut ordonner toutes autres mesures utiles sans faire obstacle à l’exécution d’aucune décision administrative. »
Selon la formule retenue, le juge administratif, saisi de conclusions sur le fondement de l’article L. 521-3 du Code de justice administrative (CJA), ne peut faire droit à une demande d’expulsion d’un occupant sans titre d’un terrain ou d’un bâtiment que lorsqu’il est établi que le bien en cause n’est pas manifestement insusceptible d’être qualifié de dépendance du domaine public.
Lorsque le terrain ou le bâtiment en cause est une propriété privée ou relève du domaine privé d’une collectivité, seul le juge judiciaire est compétent pour connaître de la demande d’expulsion.
La qualité à agir de l’auteur de la demande d’expulsion peut être contestée. La règle est que l’auteur de la demande d’expulsion doit être le propriétaire ou le gestionnaire du bien (CE, 23 septembre 2005, Commune de Cannes, n° 278033).
II. Conditions de fond du référé mesures utiles
Le juge administratif des référés doit ensuite vérifier si la mesure d’expulsion répond aux conditions d’urgence et d’utilité.
La condition d’urgence est celle qui est le plus souvent appréciée au regard des considérations de sécurité ou de salubrité publiques.
Le juge reconnaît la condition d’urgence :
TA Montreuil, 31 janvier 2012, n° 1200594
Le tribunal relève, entre autres, la présence de « deux chiens agressifs », l’installation à proximité d’un « transformateur d’électricité qui constitue un risque réel d’accident », le fait que le terrain « ne dispose d’aucun équipement permettant d’assurer aux occupants des conditions d’hygiène minimale », les « risques d’incendie liés à l’utilisation quotidienne […] d’appareils de chauffage au gaz, au bois ou à l’essence. »
TA Montreuil, 12 avril 2012, n° 1202325
Le tribunal relève, pour estimer que l’évacuation répond à la condition d’urgence : l’absence de conditions d’hygiène minimales, le danger pour la sécurité des personnes, en raison en particulier des risques d’incendie liés à l’utilisation d’appareils de chauffage ou de cuisson alimentés au bois, au gaz ou au kérosène, le risque d’accident car les occupants accèdent aux voies de circulation qui l’enserrent.
CE, 5 mars 2014, n° 372422
Le Conseil d’État retient l’urgence pour les raisons suivantes : « Considérant, en deuxième lieu, que l’implantation de ces familles, du fait de l’absence d’infrastructures sanitaires, de l’entassement d’ordures et de déchets et du danger résultant de la présence de la trappe d’accès au siphon et d’une clôture donnant sur une voie ferrée, forcée en différents endroits, est de nature à porter atteinte à la salubrité et à la sécurité publiques. »
CE, 5 mars 2014, n° 369607
« Considérant […] que l’impossibilité de l’accès à la canalisation de gaz et au transformateur électrique pose un problème de sécurité pour les occupants du campement mais aussi pour les habitants vivant à proximité, alors que deux incendies se sont déclarés sur le site dans les nuits du 23 au 24 mars et du 31 mars au 1er avril 2013 ; que la proximité de la voie ferrée et du site de remisage de la RATP représente également un danger pour les occupants des parcelles départementales ; qu’il existe aussi un risque sanitaire important en raison de l’accumulation des détritus et de déchets divers. »
Dans le même sens : TA Melun, 11 février 2016, n° 1601190
CE, ordonnance n° 437113 du 16 juillet 2020
Le Conseil d’Etat retient que la demande revêt un caractère urgent et utile car « cette occupation compromet d’une part, le projet de la commune de Corbeil-Essonnes d’acquérir certains terrains afin d’y construire un parc de stationnement », et d’autre part, elle compromet le projet du département d’affecter les bâtiments restant aux services publics départementaux et notamment à une maison des solidarités. Le Conseil d’Etat prononce donc l’expulsion sans délai des habitants sous astreinte de 200 par jour de retard.
En sens contraire (quand le juge reconnaît qu’il n’y a pas d’urgence à expulser) :
TA Lille, 1er septembre 2016, n° 1606080
Pour retenir que la condition d’urgence n’est pas remplie, le juge des référés retient que le terrain est occupé par des mineurs isolés étrangers et qu’aucune autre solution d’hébergement n’était, au moment de la saisine du juge, disponible pour mettre à l’abri les occupants.
TA Versailles, 23 mai 2017, n° 1702768
« Considérant que si le caractère irrégulier de l’installation d’un abri de bois sur une aire d’accueil des gens du voyage […] n’est pas sérieusement contestée par la personne visée par la présente demande d’expulsion, la communauté de communes […] n’expose pas en quoi le retrait de cet abri en bois présenterait un caractère d’urgence et d’utilité alors en outre qu’il permet à M. X. d’héberger provisoirement son père et la compagne de celui-ci qui sont malades et sans solution de logement […]. »
CE, 12 juillet 2017, Centre hospitalier de Toulouse, n° 404815
De même, dans une affaire soumise au tribunal administratif de Melun, (TA Melun, 2 mars 2012, n° 1200887/10) et qui concernait des terrains appartenant à l’APHP [Assistance Publique – Hôpitaux de Paris], le juge, après avoir réfuté la réalité des risques graves et imminents invoqués par l’APHP pour la salubrité publique, la santé des occupants et la sécurité, a considéré que la condition d’urgence n’était pas remplie.
TA de Lyon, 19 mars 2018, n° 1801569
Le Service départemental-métropolitain d’incendie et de secours (SDMIS) demandait au juge des référés d’ordonner l’expulsion des occupants sans titre d’un ensemble immobilier dont il était devenu le propriétaire.
Le juge décide de rejeter la demande après avoir estimé que la condition d’urgence n’était pas réunie et que cette expulsion était de nature à créer pour ses quatre-vingts occupants, dont des familles avec des enfants mineurs, une situation d’urgence susceptible de créer un trouble manifeste à l’ordre public. « […] aucun élément d’explication suffisant n’a été fourni qui aurait permis de connaître, même approximativement, la date prévisionnelle de réalisation de ces travaux et d’apprécier la nécessité d’une évacuation rapide du site […]. » De même, le juge estime que les difficultés auxquelles se trouvent confrontés les occupants dans ce squat « restent moindres que si les intéressés, compte tenu en particulier de la situation météorologique existante, étaient laissés livrés à eux-mêmes dans la rue. » Sur les risques de dangers invoqués, et notamment d’incendie, le juge conclut « qu’il n’apparaît pas que l’éventualité qu’un sinistre se reproduise constituerait un risque tellement élevé que, au regard de ce qui a été dit précédemment, spécialement de l’intérêt que les occupants du site ont, dans les conditions climatiques actuelles, à être abrités, il créerait à lui seule une situation d’urgence. ».
TA Limoges, 30 août 2018, n° 1801249
La région Nouvelle-Aquitaine, propriétaire des locaux objets du litige avait invoqué, afin de fonder sa requête, la nécessité de reprendre la possession des locaux en cause pour concrétiser un projet de réhabilitation prévu. Sauf que, comme le relève le juge, il ressort des pièces que la région a « déclaré sans suite la procédure de consultation, lancée le 19 février 2018 en appel d’offres ouvert, relative aux travaux en 18 lots séparés concernant l’aménagement du campus des formations sanitaires sociales […]. » La simple affirmation sur l’intention de lancer une nouvelle consultation n’est pas suffisante pour constituer l’urgence pour que l’expulsion demandée soit ainsi ordonnée.
TA Montpellier, 7 novembre 2019, n° 1905768
Un bâtiment, propriété de la région Occitanie, était occupé par une vingtaine de personnes. Le tribunal administratif est saisi en référé d’une demande d’expulsion. Le jour de l’audience, seule une personne occupe encore le bâtiment. Le tribunal constate que sa présence ne porte pas atteinte au fonctionnement du service public, ne comporte aucun risque réel et immédiat pour la sécurité publique et n’empêche pas le projet de rénovation du bâtiment prévu pour 2022. Par conséquent, il juge que la requête présentée par la région tendant à l’expulsion de l’occupant ne présente pas un caractère d’urgence. Celle-ci est donc rejetée.
TA Lille, ordonnance n° 2101928 du 26 mars 2021
Une commune forme un référé mesures utiles visant à obtenir l’expulsion avec le concours de la force publique de personnes vivant sur un terrain appartenant au domaine public depuis le mois de juillet 2020.
Le juge relève que contrairement à ce que prétend la commune, l’occupation ne porte pas atteinte à la salubrité publique car le site est en bon état de propreté, qu’aucune présence de nuisibles n’est attestée, que des associations approvisionnent les habitants en eau et en nourriture plusieurs fois par jour et ont installé des sanitaires à proximité. Le juge ajoute que l’urgence n’est pas non plus caractérisée par l’existence d’un trouble à la sécurité publique car la commune n’apporte aucun élément de preuve tel que des procès-verbaux d’intervention des forces de l’ordre. Idem concernant l’allégation d’un trouble à la tranquillité publique, le juge relève que la commune n’apporte aucun élément de fait, tel des plaintes de riverains, et alors même que le terrain se trouve éloigné de toute habitation. Le juge retient que la condition d’urgence n’est pas remplie et rejette la demande de la commune.
L’utilité s’apprécie au regard de l’objectif de protection du domaine public, du respect de son affectation et du bon fonctionnement du service public. La collectivité propriétaire doit pouvoir démontrer que la présence des habitants gêne véritablement un projet précis d’exploitation du domaine ou son utilisation conforme à son affectation, notamment à un service public.
En pratique, toutefois, les deux conditions d’urgence et d’utilité font souvent l’objet d’une appréciation globale, les exigences de sécurité justifiant à la fois l’urgence et l’utilité.
CE, 5 mars 2014, n° 372422
« […] l’implantation de ces familles […] est de nature à porter atteinte à la salubrité et la sécurité publiques ; dès lors, les conditions d’urgence et d’utilité exigées par l’article L. 521-3 précité sont satisfaites ».
Dans l’affaire déjà citée, CE, 5 mars 2014, n° 369607, la condition d’utilité est remplie dès lors que les baraquements empiétant sur la voirie départementale contribuent à « empêcher la surveillance hebdomadaire, l’inspection annuelle et un éventuel dépannage en urgence de la canalisation de gaz à haute pression enterrée sous la rue des Coquetiers et à rendre impossible l’accès au transformateur EDF » et que cette occupation « perturbe l’utilisation du domaine public départemental ; […] ».
TA Montreuil, 31 janvier 2012, n° 1200594
« L’occupation irrégulière dont il s’agit perturbe l’utilisation du domaine public et porte atteinte au fonctionnement du service public, les travaux d’entretien de l’espace occupé étant rendus difficiles par l’installation des abris. ».
Idem : TA Montreuil, 12 avril 2012, n° 1202325
TA Melun, ordonnance du 23 septembre 2020, n° 2006180
Des familles vivent sur une parcelle appartenant à un syndicat interdépartemental pour l’assainissement de l’agglomération. Celui-ci forme un référé mesures utiles auprès du tribunal administratif en vue d’obtenir leur expulsion. Le juge rappelle que lorsqu’il est saisi d’une demande d’expulsion du domaine public, il doit rechercher si celle-ci a un caractère urgent et ne se heurte à aucune contestation sérieuse. Il examine d’abord l’appartenance de la parcelle au domaine public en retenant que, dès son acquisition par le syndicat interdépartemental, elle a été affectée au service public de l’assainissement et a été aménagée spécialement pour constituer une issue de secours et une voie d’accès aux installations de traitement des eaux usées. Selon le juge, la parcelle n’est donc pas insusceptible d’être rattachée au domaine public du syndicat.
Il relève ensuite que les familles ne contestent pas occuper la parcelle sans titre les y autorisant, et que « l’occupation de cette voie rend difficile voire impossible, d’une part, l’accès aux installations et leur entretien, notamment celui du ru de la Gironde, collecteur d’eaux pluviales appartenant au département du Val-de-Marne, dont les regards se succèdent le long de la voie en cause, et d’autre part, la circulation des véhicules de secours et d’évacuation de l’usine en cas de sinistre. » En outre il relève l’existence d’un projet de construction d’un collecteur d’eaux pluviales devant débuter à la fin du mois. Il estime ainsi que : « il ne résulte pas de l’instruction, au demeurant, que l’expulsion demandée, dont le caractère urgent et utile est établi […] porterait une atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale des occupants sans titre disproportionnée à ses buts, tenant au bon fonctionnement du service public de l’assainissement, alors que les défendeurs occupent des logements de fortune, dans des conditions sanitaires et de sécurité déplorables. » Le juge ordonne l’expulsion des familles tout en se déclarant incompétent pour octroyer le concours de la force publique pour l’exécution de sa décision.
En sens inverse :
TA Melun, 2 mars 2012, n° 1200887/10
Le juge relève, pour rejeter la demande de l’APHP, que celle-ci « n’allègue même pas qu’elle a besoin de ce terrain pour remplir sa mission de service public ou développer un projet à très court terme sur cet emplacement. »
TA Lille, 1er septembre 2016, n° 1606080
Le juge administratif a estimé que l’évacuation du jardin public des Olieux à Lille, demandée par son propriétaire, la Métropole de Lille, ne présentait pas les caractères d’utilité et d’urgence requis dans le cadre du référé mesures utiles. Le juge fonde sa décision de rejet de l’expulsion demandée : « Considérant que le campement de fortune du jardin des Olieux constitue pour ses occupants le seul abri dont ils disposent aujourd’hui ; qu’en l’absence de toute solution de relogement annoncée, une mesure d’expulsion aura nécessairement pour conséquence de placer les intéressés, en raison de leur âge, des conditions dans lesquelles ils ont accompli leur périple jusqu’en France et de leurs conditions de vie depuis leur arrivée dans ce pays, dans une précarité encore plus grande en les contraignant à l’errance et en les privant de tous les soutiens et services dont ils ont pu bénéficier jusqu’à présent ; […]. »
Le juge estime également que la Métropole, qui n’est pas « débitrice des solutions de relogement » mais qui « subit les conséquences d’une occupation illégale de son domaine public », avant d’engager une nouvelle action, devait « se rapprocher de l’État, du département du Nord et de la ville de Lille, afin de rechercher et de mettre en œuvre, dès que possible et avant l’entrée du froid, les mesures appropriées pour mettre fin à une situation contraire à la dignité de la personne humaine ; […]. » A ce titre, il rappelle enfin que « certaines de ces autorités, bien que n’en ayant pas juridiquement l’obligation […] pourraient tout à fait légalement, dans l’intérêt général et dans celui de ces jeunes en particulier, afin de leur éviter des traitements inhumains et dégradants prohibés par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, à laquelle l’État français est partie, décider d’intervenir, par la mise à disposition de terrains, moyens matériels ou financiers notamment, pour soutenir les autorités compétentes qui doivent faire face à une situation inédites et hors normes ; […]. »
CE 12 juillet 2017, Centre Hospitalier de Toulouse, n° 404815
Pour exclure l’existence d’une urgence à faire droit à la demande d’expulsion, le juge des référés a fait état de l’absence de projet du propriétaire concernant le bâtiment occupé et de la situation des occupants, au nombre desquels figurent plusieurs familles reconnues prioritaires au titre du droit au logement opposable ainsi que des personnes malades.
TA Lille, ordonnance n° 2101928 du 26 mars 2021
Une commune forme un référé mesures utiles visant à obtenir l’expulsion avec le concours de la force publique de personnes vivant sur un terrain appartenant au domaine public depuis le mois de juillet 2020. Le juge écarte la prétention de la commune selon laquelle l’occupation porterait atteinte à la conservation du domaine public, relevant que : « Toutefois, il n’est ni établi ni même allégué que les personnes présentes sur le site auraient, par leur occupation, endommagé les installations sportives. » Il ajoute qu’une pièce du dossier atteste que le ramassage des déchets sur le site n’a représenté que 5% du temps de travail des agents de nettoyage du secteur en 2020. Le juge rejette donc la demande de la commune.
Dans le cadre d’’un contentieux devant le tribunal administratif, le juge ne peut pas accorder de délais sur la base du Code des procédures civiles d’’exécution et les habitants ne peuvent bénéficier de la trêve hivernale, en théorie. Il n’y a pas non plus de délivrance d’un commandement de quitter les lieux. Le juge a cependant la possibilité d’accorder un sursis à l’expulsion en mettant en balance l’intérêt des habitants et leur situation et les intérêts du propriétaire.
CHAPITRE 3. L’ÉVACUATION A LA SUITE D’UNE DECISION DE L’ADMINISTRATION
I. La procédure accélérée d’évacuation en cas d’occupation du domicile d’autrui
En vertu de l’article 38 de la loi instituant le droit au logement opposable (DALO), « En cas d’introduction et de maintien dans le domicile d’autrui, qu’il s’agisse ou non de sa résidence principale, à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou de contrainte, la personne dont le domicile est ainsi occupé ou toute personne agissant dans l’intérêt et pour le compte de celle-ci peut demander au préfet de mettre en demeure l’occupant de quitter les lieux, après avoir déposé plainte, fait la preuve que le logement constitue son domicile et fait constater l’occupation illicite par un officier de police judiciaire. » Les modalités d’application de cette procédure sont précisées dans une circulaire du 22 janvier 2021 relative à la réforme de la procédure administrative d’évacuation forcée en cas de « squat ».
Pour engager cette procédure, un propriétaire doit remplir 3 conditions :
- Déposer plainte
- Apporter la preuve qu’il s’agit de son domicile
- Faire constater l’occupation illicite par un officier de police judiciaire
Il convient de souligner que le domicile ne se limite plus uniquement à la résidence principale, mais se rapporte également à la résidence secondaire ou occasionnelle. Le domicile est entendu au sens de la jurisprudence pénale, à savoir « lieu où une personne, qu’elle y habite ou non, a le droit de se dire chez elle, quels que soient le titre juridique de son occupation et l’affectation donnée aux locaux. »
Saisi d’une demande de mise en demeure, le préfet doit prendre une décision dans un délai de 48h. Le délai d’exécution de la mise en demeure ne peut être inférieur à 24h, et la décision doit être notifiée aux occupants.
Le juge a pu apprécier le respect ou non des conditions d’application de cet article :
CE, ordonnance n° 450651, 450653, 450677, 450678 du 25 mars 2021
Des familles vivant dans des locaux vides sont visées par des arrêtés préfectoraux pris sur le fondement de l’article 38 de la loi DALO et les mettant en demeure de quitter les lieux sous 24h. Après avoir vu leur référé liberté rejeté par le tribunal administratif, les requérantes interjettent appel de l’ordonnance auprès du Conseil d’Etat.
Celui-ci retient que la condition d’urgence est satisfaite en raison de la présence de plusieurs enfants mineurs, de l’absence de solution d’hébergement des familles, et de la volonté du propriétaire, bailleur social, de commencer immédiatement des travaux de réhabilitation en vue de louer les logements à des personnes déjà identifiées. Toutefois, il relève que les locaux concernés étaient vides de toute occupation avant l’arrivée des familles, dès lors ils ne pouvaient pas être qualifiés de domicile d’autrui au sens de la loi DALO, ajoutant que : « La seule circonstance que le propriétaire des lieux ait déjà choisi les personnes à qui il entend les louer après réhabilitation n’est pas plus de nature à leur conférer cette même qualité. » Le Conseil estime ainsi que les arrêtés sont privés de base légale et ont porté une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée des familles requérantes et à l’intérêt supérieur de l’enfant. Il annule les quatre ordonnances du tribunal et suspend l’exécution des arrêtés litigieux.
II. L’évacuation d’un squat en péril imminent
Lorsqu’un immeuble squatté risque de s’effondrer, la mairie peut prendre un arrêté de péril pour obliger le propriétaire à faire les travaux nécessaires car il y a danger pour la sécurité des habitants. Les personnes qui occupent le bâtiment doivent alors le quitter. Si elles ne partent pas volontairement, elles devront alors être évacuées.
III. L’évacuation de terrain justifiée par un danger imminent ou une menace grave pour l’ordre public
Le maire, ou le préfet, en tant que responsables du maintien de l’ordre public, peuvent ordonner aux occupants d’un terrain de l’évacuer en invoquant des risques d’atteinte à la sécurité, la salubrité ou la tranquillité publiques.
Dans l’exercice de leurs pouvoirs de police, les autorités doivent toutefois veiller à ne pas porter d’atteinte excessive aux droits et libertés fondamentaux (voir aussi infra, III. a) Le référé-liberté).
Le juge considère souvent que l’arrêté est justifié :
CE, 5 avril 2011, n° 347949
Le principe de proportionnalité est considéré comme satisfait au regard de la « gravité des risques encourus », résultant notamment de ce que des branchements d’électricité frauduleux situés en amont et à proximité de l’alimentation d’un poste de transport de gaz présentaient un danger d’électrocution et d’incendie.
Idem : TA Montreuil, 27 janvier 2012, n° 110247
TA Montreuil, 29 août 2011, n° 1107219
Le maire, en tant qu’autorité de police, « peut légalement, lorsque l’atteinte à la sécurité publique l’exige, prescrire en cas d’urgence toutes mesures nécessaires pour prévenir et faire cesser des risques graves, notamment d’incendie, sous réserve que les mesures qu’il prend soient proportionnées aux nécessités de l’ordre public. » En l’espèce, la mesure est proportionnée car elle vise à parer à « des risques graves et imminents. » En effet, « il résulte de l’instruction que des branchements électriques frauduleux ont été effectués au profit des occupants sans titre du campement en cause, qu’ils utilisent de nombreuses bouteilles de gaz, qu’un incendie s’est déjà déclaré sur le site […], que la promiscuité et les matériaux des baraquements sont de nature à mettre en péril la vie des occupants en cas d’incendie et que les occupants traversent régulièrement les voies de circulation autoroutière de jour comme de nuit. »
TA Montreuil, 25 août 2014, n° 1407907
L’arrêté pris par le maire de Bobigny commandant aux occupants de quitter les lieux dans un délai de 48h remplit les conditions de nécessité et de proportionnalité au regard des exigences de la sécurité publique dès lors que le campement est constitué de cabanes de fortune, occupé par 314 personnes dont un tiers d’enfants ; qu’un incendie a eu lieu quelques mois auparavant, ayant provoqué la mort d’un enfant, que le risque d’incendie perdure en raison d’un raccordement sauvage au réseau public d’électricité qui ne présente aucune sécurité ; que les conditions d’hygiène sont très dégradées, favorisant la prolifération des rongeurs. Il y a donc un « danger réel et immédiat » qui justifie la mesure prise.
TA Lille, 25 février 2016, n° 1601386
« […] il résulte de l’instruction qu’en raison de la géographie de la zone « sud », la présence dense et anarchique des tentes et des abris installés dans cette zone, et l’absence d’aménagement de toute voirie, qui interdit notamment tout accès aux véhicules d’urgence et de secours, la sécurité des habitants de cette partie de la « Lande » ne peut actuellement être assurée ; […] compte tenu de l’absence de sécurisation de cet espace de 8 hectares et de l’impossibilité de mobiliser plus de forces de police, l’intrusion de passeurs constitue également un danger potentiel pour ces migrants […]. » L’arrêté municipal est donc justifié.
TA Melun, 7 novembre 2017, n° 1708308
« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier, et notamment du constat d’huissier […] qu’une dizaine de cabanons ont […] été implantés sur le terrain ; que des matériaux étaient stockés, laissant supposer que ce campement sauvage était susceptible de recueillir d’autres édicules ; que le même constat d’huissier a fait apparaître que ces cabanons étaient alimentés en électricité par des branchements électriques rudimentaires courant à même le sol reliés à des groupes électrogènes ; que les constructions sommaires ne sont reliées à aucun réseau d’assainissement et ne disposent pas d’alimentation en eau potable ; que la présence de bonbonnes de gaz a été relevée à proximité des cabanons ; que sont également présentes sur le terrain des toiles amiantées ainsi que des amoncellements de détritus de toute nature ; qu’en outre, le terrain est occupé par des serres dont les vitres de couverture sont brisées à de nombreux endroits ; qu’à supposer même que des bâches soient installées à proximité de ces serres, elles ne sont pas par elles-mêmes suffisantes pour faire obstacle à l’accès des enfants à l’intérieur et aux alentours de ces serres ; que ces enfants couraient alors un risque de blessures importantes ; que, par conséquent, les atteintes à la sécurité et à la salubrité encourues par les occupants du campement caractérisent une situation d’urgence […]. »
Mais il tranche aussi parfois dans le sens contraire, en rejetant les arguments du maire ou du préfet :
TA Montreuil, 9 juin 2017, n° 1704552 et 1704561
Un arrêté municipal en date du 15 mai 2017 met en demeure les occupants d’un terrain de quitter les lieux sous 48h. Le juge des référés, saisi d’une demande de suspension de l’arrêté d’évacuation, considère que :
- Si l’occupation du terrain comporte certains risques (dispositifs électriques non conformes, pas d’issue de secours, encombrements qui pourraient gêner les secours, nombre croissant d’occupants du terrain), ces derniers ne « paraissent pas d’une importance et d’une gravité telles de nature à nécessiter une évacuation d’extrême urgence du campement, occupé dans des conditions décentes depuis plus de cinq années avec le soutien de la commune et d’associations […]. ».
- « Que les requérants résident depuis plusieurs années sur le terrain litigieux et y ont installé leur domicile ainsi que le centre de leurs intérêts personnels, familiaux et professionnels avec l’accord de la commune de Bobigny et du propriétaire des lieux à l’époque de la signature de la convention ci-dessus analysée ;
- Que, dans ces conditions l’arrêté attaqué leur faisant obligation de quitter les lieux sous un délai de 48h est de nature à porter une atteinte grave et immédiate à leur situation[…]. »
Le juge suspend donc les effets de l’arrêté par lequel le maire a mis en demeure les occupants de libérer les lieux dans un délai de 48h. Cette décision a été confirmée par le juge du fond (voir ci-dessous).
TA Montreuil, 26 décembre 2017, n° 1704553
Malgré les différents éléments présentés par l’autorité municipale pour justifier un danger grave au sens de l’article L. 2212-4 du Code général des collectivités territoriales (CGCT) et la mesure d’expulsion dans un si court délai, « ils ne paraissent pas d’une imminence telle qu’ils seraient de nature à justifier une évacuation d’extrême urgence de terrain » d’autant plus au regard des circonstances particulières de l’occupation de ce terrain : depuis plus de 5 ans, avec l’accord de la mairie, avec le soutien des associations. Et de conclure : « dans les circonstances particulières de l’espèce, en assortissant la mise en demeure de libérer les lieux d’un délai de 48h qui n’est pas dissociable du motif qui fonde la mesure attaquée, le maire de Bobigny a entaché sa décision d’une erreur d’appréciation […]. »
TA Montreuil, 14 octobre 2020, n° 2010726
Des familles vivant sur un terrain situé à proximité d’une autoroute et appartenant au domaine public, sont mises en demeure par arrêté municipal de quitter les lieux sous 24h. Le tribunal juge que l’arrêté porte « une atteinte grave et manifestement illégale à la vie privée et familiale du requérant et des autres occupants du campement, ainsi qu’à leur droit à un domicile, dès lors qu’il ressort des pièces du dossier et des déclarations faites à la barre par le conseil de la commune défenderesse que l’évacuation est prévue sans mise en œuvre du diagnostic et des mesures d’accompagnement prévus par la circulaire interministérielle du 26 août 2012[1], de sorte que les occupants risquent de se retrouver à la rue, et ce dans un contexte sanitaire qui se dégrade fortement depuis quelques jours, et sans que cette mesure évite que le campement ne se reconstitue ailleurs. »
Le tribunal suspend l’exécution de l’arrêté pris par le maire de la commune « jusqu’à ce qu’un diagnostic ait été établi et des mesures d’accompagnement proposées aux occupants du campement selon les préconisations de la circulaire interministérielle du 26 août 2012. »
TA Versailles, ordonnance n° 2101956 du 10 mars 2021
Des familles vivant sur un terrain forment un référé liberté en vue d’obtenir la suspension d’un arrêté municipal d’évacuation. Le juge relève qu’aucune mesure de diagnostic social prévue par la circulaire du 26 août 2012 n’a été mise en œuvre et que l’évacuation pourra avoir lieu avec le concours de la force publique. Dès lors il relève que les familles risquent de se retrouver sans abri dans un contexte sanitaire dégradé, ce qui est de nature à porter atteinte à la situation des requérants dans des conditions propres à constituer une situation d’urgence au sens du référé liberté.
Par ailleurs, le juge relève que l’arrêté est fondé sur des atteintes à l’ordre public et les risques encourus par les familles vivant sur le terrain mais que la commune n’apporte aucun élément pour justifier ces motifs. D’un autre côté les familles requérantes font valoir que la commune sait qu’elles vivent sur place depuis début 2020, qu’elles disposent de toilettes sèches et remplissent des bonbonnes d’eau dans un centre commercial. Selon le juge ces éléments et l’absence de mise en œuvre de tout diagnostic social préalable à l’évacuation par la commune est de nature à porter atteinte à la liberté fondamentale qu’est le droit au respect de la vie privée et familiale des requérantes. Le juge prononce donc la suspension de l’arrêté litigieux.
TA Cergy-Pontoise, ordonnance n° 2108257 du 30 juin 2021
Des personnes vivant sur un terrain appartenant à un syndicat mixte d’aménagement sont mises en demeure de quitter les lieux sous un délai de 72h par un arrêté municipal d’évacuation. Ceux-ci forment un référé liberté en vue d’obtenir la suspension dudit arrêté.
Concernant la condition d’urgence, le juge rappelle que : « Lorsque le requérant fonde son action non sur la procédure de suspension régie par l’article L. 521-1 du Code de justice administrative mais sur la procédure particulière instituée par l’article L. 521-2 de ce code, il lui appartient de justifier de circonstances caractérisant une situation d’urgence qui implique, sous réserve que les autres conditions posées par l’article L. 521-2 soient remplies, qu’une mesure visant à sauvegarder une liberté fondamentale doive être prise dans les 48h ».
Le juge relève ainsi que la condition est remplie car les requérants vivent avec leurs enfants et une trentaine d’autres personnes dans des cabanons de fortune sur le terrain litigieux et n’ont pu bénéficier d’aucune solution de relogement ni mesure d’accompagnement. Dès lors selon le juge, l’arrêté est de nature à porter une atteinte grave et manifestement excessive à une liberté fondamentale. A cet égard, il relève que le la motivation de l’arrêté repose sur le fait que l’installation met en danger la vie des occupants et de la population environnante car elle porte des atteintes graves et immédiates à l’ordre public. Toutefois, il retient qu’en l’espèce, aucun des éléments de l’instruction ne démontre l’existence d’un trouble à la sécurité, la salubrité ou la tranquillité publique. Il conclut donc à la suspension de l’arrêté en affirmant que puisque le péril grave et imminent n’est pas démontré et que l’évacuation est prévue sans mise en œuvre de mesures d’accompagnement ou de relogement, l’arrêté porte bien une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée et familiale.
TA Montreuil, ordonnance n° 2111057 du 19 août 2021
Des habitants d’un terrain communal sont mis en demeure de quitter les lieux sous 48h par un arrêté municipal d’évacuation. Le maire n’ayant mis en œuvre aucune mesure de diagnostic social, les habitants forment un référé suspension contre l’arrêté. Le juge relève d’abord que la condition d’urgence est remplie car : « […] en dépit du caractère récent de l’installation du campement, au début du mois de juillet, l’exécution de l’arrêté litigieux est de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale à la situation du requérant et de sa famille […]. Il ajoute que le fait que le requérant ait introduit la requête le 12 août alors que l’arrêté litigieux, datant du 30 juillet, n’a été affiché que le 3 août, n’est pas de nature à lui dénier son caractère d’urgence. Ensuite, le juge retient que la quasi-totalité de l’emprise du campement se situe dans une zone d’aléa moyen ou faible correspondant à un risque d’effondrement modéré, et que : « Au demeurant, eu égard à la nature des installations présentes sur le campement, qui consistent, […] en quelques abris précaires en bois et deux ou trois tentes, le non-respect des prescriptions du plan de prévention des risques naturels de la commune […] ne permet pas de caractériser un risque grave ou imminent pour leurs occupants ou les tiers. » De plus le juge relève que l’arrêté mentionne la présence de fontis[2] alors qu’aucun rapport n’en fait état[3].
Par ailleurs, le juge retient que la localisation et les conditions d’occupation du terrain ne permettent pas de caractériser un risque grave ou imminent pour les occupants ou pour des personnes extérieures. En effet, le juge relève qu’il n’y pas d’habitations aux alentours, que les habitants ont accès à l’eau grâce à une fontaine publique à proximité, à l’assainissement grâce à l’installation de toilettes sèches, qu’ils disposent d’un groupe électrogène pour l’électricité et ont aménagé une cuisine indépendante munie d’une bouteille de gaz. Le juge rappelle aussi qu’il n’est pas démontré que l’occupation cause des nuisances. Il note en outre que la commune n’a procédé à aucune évaluation des conséquences de l’expulsion et de la situation particulière des habitants, et juge que : « Par suite, ni la nécessité ni la proportionnalité de la mesure n’étant démontrée, l’arrêté litigieux porte, en l’état de l’instruction, une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée et familiale du requérant et à l’intérêt supérieur de l’enfant. » Le juge ordonne donc la suspension de l’arrêté.
Ces arguments apparaissent lors d’un contentieux en référé liberté ou suspension formés par les habitants pour contester le contentieux, lorsqu’ils parviennent à le faire dans le court délai entre la prise de l’arrêté et l’évacuation effective, décisions qui sont également détaillées ci-dessous.
IV. Les recours contre les arrêtés municipaux ou préfectoraux d’évacuation
Pour obtenir la suspension d’un arrêté municipal ou préfectoral, il est possible de saisir le juge administratif par la voie du référé : soit un référé-liberté (article L. 521-2 du CJA), soit un référé-suspension (article L. 521-1 du CJA) qui doit alors accompagner un recours en annulation de la mesure.
Les arrêtés prévoient généralement un délai de 24 à 48h pour quitter le terrain. Un recours de droit commun peut être introduit dans un délai de 2 mois, mais l’arrêté est exécutoire. En conséquence, dans les décisions évoquées ci-dessous, certaines sont intervenues postérieurement à l’évacuation.
Ce court délai plaide en faveur d’un référé liberté, mais qui n’est pas forcément le type de référé le plus efficace : les exemples de décisions favorables sont plus favorables en référé suspension.
Pour former un référé-liberté, il faut apporter la preuve de l’existence d’une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale et démontrer qu’il y a urgence à ce que le juge statue. La seconde condition ne pose en général pas problème, dans la mesure où l’ordre d’évacuation est assorti d’un délai très bref.
En ce qui concerne la première condition, l’évacuation est incontestablement susceptible de porter atteinte à une série de droits fondamentaux : le droit à la vie privée et familiale et son corollaire le droit à la protection du domicile ; le droit au logement ; le principe de dignité de la personne humaine ; l’intérêt supérieur des enfants, notamment lorsque la scolarisation est compromise. Toutefois, le juge administratif, lorsqu’il est saisi d’un référé-liberté, a tendance dans ce type d’affaires à faire prévaloir les considérations d’ordre public, dans la mise en balance qu’il opère entre ces derniers buts et l’atteinte portée aux droits fondamentaux. Dès lors qu’un risque d’incendie est allégué, il a tendance à considérer que la mesure d’expulsion est nécessairement proportionnée.
Rejet du référé liberté :
CE, 5 avril 2011, n° 347949
« Compte tenu de la gravité des risques encourus […] l’arrêté contesté n’est pas entaché d’une méconnaissance manifeste des conditions de nécessité et de proportionnalité au regard des exigences de la sécurité publique ; qu’eu égard à la nécessité de sécurité publique justifiant l’arrêté contesté, et alors même qu’il implique le départ des occupants du campement, notamment des enfants scolarisés, cet arrêté ne porte pas une atteinte manifestement illégale à leur liberté d’aller et venir, à leur vie privée et à l’intérêt supérieur des enfants. »
CE, 17 septembre 2014, n° 384387
« […] qu’eu égard au danger réel et immédiat encouru par les occupants de ce campement, le maire de Bobigny n’a pas entaché sa décision d’une méconnaissance manifeste des conditions de nécessité et de proportionnalité au regard des exigences de la sécurité publique ; que, compte tenu de la nécessité de sécurité publique justifiant le départ des occupants du campement, l’arrêté litigieux ne porte pas une atteinte manifestement illégale à leur liberté d’aller et venir, au respect de leurs biens, à leur vie privée et à l’intérêt supérieur des enfants, quand bien même ces derniers sont scolarisés dans des établissements voisins. »
Contrairement au référé-suspension qui devient sans objet lorsque la mesure a déjà été exécutée, le référé-liberté reste ouvert même après l’exécution de la mesure.
CE, 19 décembre 2012, n° 364444
« […] la seule circonstance de cette mise en œuvre administrative [de la décision attaquée] ne saurait priver d’effet la présente procédure de référé dès lors qu’elle est présentée sur le fondement de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative qui est destiné à protéger les libertés fondamentales en permettant au juge des référés d’ordonner toute mesure nécessaire à cette fin […]. »
Mais si l’expulsion a eu lieu après le prononcé de l’ordonnance de référé, cette circonstance est de nature à priver d’objet les conclusions tendant à la suspension de l’exécution de cet arrêté, y compris lorsque ces dernières sont présentées sur le fondement de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative.
CE, 7 avril 2016, n° 398286
« […] qu’en revanche, la circonstance que, postérieurement à l’ordonnance attaquée, le campement concerné par l’arrêté n° DG-2016-18 du 8 février 2016 a été totalement évacué avec le concours de la force publique et les équipements qui y avaient été installés détruits est de nature à priver d’objet les conclusions tendant à la suspension de l’exécution de cet arrêté ; que, cette exécution étant intervenue antérieurement à l’introduction de l’appel présenté par M. K. et autres, leurs conclusions qui tendent seulement à la suspension de l’exécution de l’arrêté du maire de Champs-sur-Marne sont irrecevables. »
Admission du référé liberté :
TA Montreuil, ordonnance n° 2010405 du 6 octobre 2020
Des personnes vivant sur un terrain sont visées par un arrêté municipal les mettant en demeure de quitter les lieux. Les familles forment alors un référé liberté demandant la suspension de l’exécution de l’arrêté.
Le juge relève que : la condition d’urgence est remplie en raison de la présence d’enfants et de l’absence de solution de relogement. Il ajoute que : « Si le campement dont l’évacuation a été ordonnée occupe une parcelle située à proximité d’une voie de chemin de fer, il est néanmoins séparé de cette dernière par une grille haute, et qu’un trottoir et une piste cyclable séparent la parcelle en cause de la chaussée de l’avenue qu’elle jouxte. » En outre, le juge relève que si l’arrêté énonce que le terrain ne dispose d’aucun élément de confort, l’instruction démontre pourtant que les familles disposent d’un accès à l’eau, de l’électricité via un groupe électrogène et de toilettes sèches. Par conséquent, il conclut que l’arrêté porte une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée des familles, eu égard à l’absence de solution de relogement.
TA Montreuil, 14 octobre 2020, n° 2010726
Des familles vivant sur un terrain situé à proximité d’une autoroute et appartenant au domaine public, sont mises en demeure par arrêté municipal de quitter les lieux sous 24h. Le tribunal juge que l’arrêté porte « une atteinte grave et manifestement illégale à la vie privée et familiale du requérant et des autres occupants du campement, ainsi qu’à leur droit à un domicile, dès lors qu’il ressort des pièces du dossier et des déclarations faites à la barre par le conseil de la commune défenderesse que l’évacuation est prévue sans mise en œuvre du diagnostic et des mesures d’accompagnement prévus par la circulaire interministérielle du 26 août 2012[4], de sorte que les occupants risquent de se retrouver à la rue, et ce dans un contexte sanitaire qui se dégrade fortement depuis quelques jours, et sans que cette mesure évite que le campement ne se reconstitue ailleurs. »
Le tribunal suspend l’exécution de l’arrêté pris par le maire de la commune « jusqu’à ce qu’un diagnostic ait été établi et des mesures d’accompagnement proposées aux occupants du campement selon les préconisations de la circulaire interministérielle du 26 août 2012. »
Le juge se livre ici à un contrôle de proportionnalité entre la mesure de police, qui constitue une ingérence dans le droit au respect de la vie privée et familiale, peu importe la durée de l’installation des personnes sur le lieu[5], et les risques matériels liés aux conditions d’occupation du terrain. Dans la seconde décision, l’ingérence est vue comme d’autant plus grave que la mesure d’évacuation n’a pas été précédée d’une mise en œuvre des mesures sociales prévues par les circulaires de 2012 et de 2018.
Un recours pour excès de pouvoir peut être formé devant le tribunal administratif pour demander l’annulation de la décision. Ce recours doit s’effectuer dans le délai de deux mois à compter de la date de notification ou de l’affichage dudit acte.
Dans ce cadre, il est possible de contester la compétence de l’auteur de l’acte (incompétence du signataire, par exemple), la forme de l’acte (insuffisance de motivation si l’acte est une mesure individuelle, défaut de mention de l’identité de l’auteur de l’acte) et la procédure au terme de laquelle il a été adopté.
Il est également possible de contester l’exactitude matérielle des faits retenus par l’administration pour adopter la décision, ainsi que l’erreur de droit ou l’erreur d’appréciation commise par l’auteur de l’acte.
Une requête en référé-suspension peut être introduite, après le dépôt du recours pour excès de pouvoir[6], aux fins que le juge du référé suspende provisoirement l’exécution de la décision jusqu’à l’intervention du juge de l’annulation.
L’article L. 521-1 du Code de justice administrative pose trois conditions pour la présentation de ce référé. Il faut, comme on l’a vu, qu’une requête tendant à l’annulation de la décision ait déjà été introduite devant la juridiction, puis il faut encore que le requérant justifie de l’existence d’une urgence (cette condition est, en principe, remplie lorsque le justiciable démontre que la décision occasionne un préjudice grave et immédiat à sa situation ou aux intérêts qu’il entend défendre) et de l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de la décision.
Le référé-suspension pourra tendre aux mêmes fins qu’un référé-liberté (la suspension de l’exécution d’une décision d’expulsion) ; mais l’avantage de la première procédure est que le juge y exercera un contrôle beaucoup plus large et approfondi que celui qu’il effectue en référé-liberté : dans le référé-suspension, le juge pourra être saisi de tous les moyens de légalité (ceux qui peuvent être soulevés devant le juge de l’excès de pouvoir), tandis que, dans le cadre du référé-liberté, il ne sera susceptible d’accueillir que ceux des moyens qui démontrent l’existence d’une atteinte manifestement grave et illégale à une liberté fondamentale (il est, par exemple, probable que ne pourra pas être accueilli par le juge du référé-liberté, le moyen tiré de ce qu’un acte a été paraphé par un signataire ne bénéficiant pas de délégation de signature ou le moyen tiré de ce que la décision contestée est insuffisamment motivée).
En revanche, la procédure de référé-liberté est jugée beaucoup plus rapidement. Dans cette procédure, le juge doit en théorie se prononcer dans les 48h. Le juge du référé-suspension n’a, quant à lui, pas à respecter de délai particulier pour statuer.
En pratique, le juge suspend rarement l’exécution de l’évacuation dans le cadre du référé suspension :
TA Melun, 11 février 2016, n° 1601190
Le juge des référés refuse de suspendre les effets de l’arrêté de la mairie de Champs-sur-Marne malgré les cas de tuberculose, l’absence d’arrêté municipal sur des bidonvilles très proches et dans les mêmes conditions, en raison « de la gravité des risques encourus au regard de la sécurité et de la salubrité publique. »
Le juge affirme à cette occasion que : « […] il conviendra au moment de l’exécution de l’arrêté de permettre à toute personne qui le souhaiterait de subir un contrôle et d’être hospitalisée ; Considérant que, dans ces conditions et sous la réserve qui vient d’être exprimée eu égard aux nécessités de sécurité et de salubrité publiques, l’arrêté en cause, même s’il implique le départ des enfants en même temps que celui des parents, ne porte pas une atteinte manifestement illégale à la liberté d’aller et venir, à la vie privée et familiale, à l’inviolabilité du domicile pas plus qu’à l’intérêt supérieur des enfants. »
TA Montreuil, 7 mars 2017, n° 1701629
Le juge considère que l’urgence à suspendre les effets de l’arrêté attaqué n’est pas établie car : « […] les requérants ne justifient pas que son exécution serait de nature à porter atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à leur situation personnelle ; […] que le caractère illicite de cette situation, dans laquelle ils se sont délibérément placés, fait obstacle à ce que l’atteinte qui serait portée, selon eux, à leurs droits, puisse être prise en compte au titre de l’urgence, dans la mesure où un campement de fortune […] ne saurait être regardé comme un logement décent, ni même un abri, que la liberté d’aller et venir n’implique pas celle d’installer sa résidence sur le terrain d’autrui et qu’une évacuation du campement n’aurait en elle-même aucun effet sur la vie privée et familiale des intéressés non plus que sur la scolarisation de ceux des enfants du campement qui en bénéficient […]. »
Néanmoins, parfois, le juge prononce la suspension de l’arrêté :
Sur la forme :
TA Lille, 2 juillet 2019, n° 1710742, et n° 1710745
Des personnes se sont installées sur un site situé sur le territoire de deux communes limitrophes. Leurs maires prennent chacun un arrêté ordonnant aux occupants de quitter les lieux dans un délai de 72h. Saisi par les occupants, le tribunal administratif est amené à statuer sur la régularité de ces deux arrêtés.
Le tribunal constate que : « en ordonnant l’un et l’autre (les deux arrêtés) l’évacuation des occupants installés à la fois sur le territoire de la commune de Longuenesse et sur celui de la commune de S., les maires ont méconnu l’étendue de leur compétence, laquelle est nécessairement limitée au territoire de leur commune d’élection. Par suite, les requérants sont fondés à soutenir que les arrêtés contestés sont entachés d’illégalité. » Le tribunal administratif annule en conséquence les deux arrêtés.
Sur le fond :
Dans ces contentieux également, le juge réalise souvent, même s’il le nomme rarement en tant que tel, un examen de proportionnalité entre les risques de dangerosité / de salubrité allégués par le maire ou le préfet, les risques matériels liés aux conditions d’occupation du terrain et la situation des requérants, et notamment l’absence de solution à l’issue d’’une éventuelle obligation. Il le nomme parfois (voir décision TA de Guyane).
TA Lille, 25 février 2016, n° 1601386
Le tribunal suspend l’exécution de l’arrêté préfectoral d’évacuation de la zone sud du bidonville ‘‘La Lande’’ à Calais tant qu’elle porte sur les ‘‘lieux de vie’’. Les ‘‘lieux de vie’’ étant entendus comme des lieux pérennes aménagés par les associations humanitaires et « destinés à offrir aux habitants de la zone des services à caractère social ou culturel » (lieux de culte, école, bibliothèque, abri réservé aux femmes et enfants, théâtres, espace d’accès au droit, espace dédié aux mineurs).
TA Montreuil, 9 juin 2017, n° 1704552 et 1704561
« […] il ressort des pièces du dossier et qu’il n’est pas contesté que les requérants résident depuis plusieurs années sur le terrain litigieux et y ont installé leur domicile ainsi que le centre de leurs intérêts personnels, familiaux et professionnels avec l’accord de la commune de Bobigny et du propriétaire des lieux à l’époque de la signature [d’une] convention [d’occupation] ; que dans ces conditions, l’arrêté attaqué leur faisant obligation de quitter les lieux sous un délai de 48h est de nature à porter atteinte grave et immédiate à leur situation. »
TA Versailles, 19 novembre 2018, n° 1807364
« […] la commune, au vu des documents qu’elle produit, ne démontre pas que l’intérêt général nécessiterait l’exécution immédiate de la mesure d’expulsion de l’ensemble des occupants de cette propriété privée, en raison d’une dangerosité particulière pour ceux-ci ou pour les autres habitants de la commune, alors notamment que la présence alléguée d’amiante sur le terrain n’est corroborée par aucun élément précis, ainsi que le confirme le conseil de la commune lors de l’audience publique et que les photographies prises le 5 octobre 2018 sur le site ne démontrent pas par elles-mêmes que les conditions de l’occupation, notamment en ce qui concerne la maison d’habitation existante, présenteraient un risque immédiat, en particulier au regard du risque d’incendie mis en avant par la commune, ne pouvant être résolu que par l’expulsion dans un délai de 48h de tous ses occupants […]. » Le juge considère qu’il y a un doute sérieux sur la légalité de l’arrêté en raison de son caractère disproportionné au regard des circonstances : il n’est pas démontré qu’il y a un trouble à la sécurité et salubrité publiques immédiat, et « l’évacuation forcée des occupants du terrain aurait nécessairement pour conséquence de placer la requérante et sa famille, dont plusieurs enfants mineurs, dans une situation de très grave précarité.»
Il est également précisé que « les occupants des lieux sont des personnes sans abri susceptibles de relever du dispositif de veille sociale prévu aux articles L. 345-2 et suivants du Code de l’action sociale et des familles. Il n’est toutefois pas contesté par la commune de B. que leur situation n’a fait l’objet d’aucune évaluation à ce titre, et qu’aucune solution alternative ou d’hébergement d’urgence ne leur a été proposée à la date d’édiction de l’arrêté. »
TA Cergy-Pontoise, 13 mai 2019, n° 1904856
Le tribunal constate que les occupants n’ont fait l’objet d’aucune évaluation de leur situation et qu’aucune solution alternative ou d’hébergement d’urgence ne leur a été proposée à la date de l’édiction de l’arrêté. Il en déduit que : « l’évacuation forcée des occupants du terrain aurait nécessairement pour conséquence de placer la requérante dans une situation de grave précarité. » Il observe également que la commune ne démontre pas que l’intérêt général nécessiterait une évacuation immédiate en raison d’une dangerosité particulière du site pour ses occupants ou les autres habitants de la commune. Le tribunal en conclut que la condition d’urgence à suspendre les effets de l’arrêté est remplie.
Il considère également que tant au regard des effets de l’évacuation sur la situation des occupants que de l’absence de risque démontré, « le moyen tiré de l’erreur de fait dont serait entachée la décision litigieuse paraît, en l’état de l’instruction, propre à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision. » En conséquence, il suspend l’exécution de l’arrêté municipal.
TA Montreuil, 14 octobre 2020, n° 2010726
Des familles vivant sur un terrain situé à proximité d’une autoroute et appartenant au domaine public, sont mises en demeure par arrêté municipal de quitter les lieux sous 24h. Le tribunal juge que l’arrêté porte « une atteinte grave et manifestement illégale à la vie privée et familiale du requérant et des autres occupants du campement, ainsi qu’à leur droit à un domicile, dès lors qu’il ressort des pièces du dossier et des déclarations faites à la barre par le conseil de la commune défenderesse que l’évacuation est prévue sans mise en œuvre du diagnostic et des mesures d’accompagnement prévus par la circulaire interministérielle du 26 août 2012[7], de sorte que les occupants risquent de se retrouver à la rue, et ce dans un contexte sanitaire qui se dégrade fortement depuis quelques jours, et sans que cette mesure évite que le campement ne se reconstitue ailleurs. »
Le tribunal suspend l’exécution de l’arrêté pris par le maire de la commune « jusqu’à ce qu’un diagnostic ait été établi et des mesures d’accompagnement proposées aux occupants du campement selon les préconisations de la circulaire interministérielle du 26 août 2012. »
TA Guyane, ordonnance n° 2000824 du 5 novembre 2020
Un demandeur d’asile vivant à la rue forme un référé suspension contre un arrêté municipal prévoyant l’interdiction de toute occupation du domaine public privative à défaut d’autorisation expresse.
Le juge rappelle que les mesures d’interdiction prononcées sont soumises au contrôle de proportionnalité. En l’espèce, le juge retient que l’arrêté se contente de mentionner une « installation récurrente de campement sauvage » sans préciser les allégations quant à la gravité des risques pour la salubrité et la sécurité publique ainsi que les troubles à l’ordre public causés par cette occupation. Le juge note également que les sept rapports de la police municipale font mention de quelques personnes endormies à même le sol dans certaines rues de la commune sans apporter de précisions sur les allégations de nuisances sonores, environnementales et de tranquillité publique déplorées par les riverains. Le juge retient ensuite que si la situation d’urgence est caractérisée, aucune atteinte à l’ordre public n’est démontrée, et que l’arrêté est applicable sur tout le territoire de la commune. Le juge relève enfin que : « le moyen tiré de ce que la maire de Cayenne a excédé les pouvoirs qu’elle tient des dispositions de l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales en prenant une mesure disproportionnée à l’objectif de sécurité poursuivi, qui pouvait être atteint par des mesures moins contraignantes est, en l’état de l’instruction, de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de l’arrêté. »
Le juge ordonne donc la suspension de l’arrêté jusqu’à ce que le juge se prononce sur la requête en annulation de l’arrêté.
TA Versailles, ordonnance n° 2101956 du 10 mars 2021
Des familles vivant sur un terrain forment un référé liberté en vue d’obtenir la suspension d’un arrêté municipal d’évacuation. Le juge relève qu’aucune mesure de diagnostic social prévue par la circulaire du 26 août 2012 n’a été mise en œuvre et que l’évacuation pourra avoir lieu avec le concours de la force publique. Dès lors il relève que les familles risquent de se retrouver sans abri dans un contexte sanitaire dégradé, ce qui est de nature à porter atteinte à la situation des requérants dans des conditions propres à constituer une situation d’urgence au sens du référé liberté.
Par ailleurs, le juge relève que l’arrêté est fondé sur des atteintes à l’ordre public et les risques encourus par les familles vivant sur le terrain mais que la commune n’apporte aucun élément pour justifier ces motifs. D’un autre côté, les familles requérantes font valoir que la commune sait qu’elles vivent sur place depuis début 2020, qu’elles disposent de toilettes sèches et remplissent des bonbonnes d’eau dans un centre commercial. Selon le juge ces éléments et l’absence de mise en œuvre de tout diagnostic social préalable à l’évacuation par la commune est de nature à porter atteinte à la liberté fondamentale qu’est le droit au respect de la vie privée et familiale des requérantes. Le juge prononce donc la suspension de l’arrêté litigieux.
TA Cergy-Pontoise, ordonnance n° 2108257 du 30 juin 2021
Des personnes vivant sur un terrain appartenant à un syndicat mixte d’aménagement sont mises en demeure de quitter les lieux sous un délai de 72h par un arrêté municipal d’évacuation. Ceux-ci forment un référé liberté en vue d’obtenir la suspension dudit arrêté.
Concernant la condition d’urgence, le juge rappelle que : « Lorsque le requérant fonde son action non sur la procédure de suspension régie par l’article L. 521-1 du Code de justice administrative mais sur la procédure particulière instituée par l’article L. 521-2 de ce code, il lui appartient de justifier de circonstances caractérisant une situation d’urgence qui implique, sous réserve que les autres conditions posées par l’article L. 521-2 soient remplies, qu’une mesure visant à sauvegarder une liberté fondamentale doive être prise dans les 48h. »
Le juge relève ainsi que la condition est remplie car les requérants vivent avec leurs enfants et une trentaine d’autres personnes dans des cabanons de fortune sur le terrain litigieux et n’ont pu bénéficier d’aucune solution de relogement ni mesure d’accompagnement. Dès lors, selon le juge l’arrêté est de nature à porter une atteinte grave et manifestement excessive à une liberté fondamentale. A cet égard, il relève que la motivation de l’arrêté repose sur le fait que l’installation met en danger la vie des occupants et de la population environnante car elle porte des atteintes graves et immédiates à l’ordre public. Toutefois, il retient qu’en l’espèce, aucun des éléments de l’instruction ne démontre l’existence d’un trouble à la sécurité, la salubrité ou la tranquillité publique. Il conclut donc à la suspension de l’arrêté en affirmant que puisque le péril grave et imminent n’est pas démontré et que l’évacuation est prévue sans mise en œuvre de mesures d’accompagnement ou de relogement, l’arrêté porte bien une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée et familiale.
TA Montreuil, ordonnance n° 2111057 du 19 août 2021
Des habitants d’un terrain communal sont mis en demeure de quitter les lieux sous 48h par un arrêté municipal d’évacuation. Le maire n’ayant mis en œuvre aucune mesure de diagnostic social, les habitants forment un référé suspension contre l’arrêté.
Le juge relève d’abord que la condition d’urgence est remplie car : « […] en dépit du caractère récent de l’installation du campement, au début du mois de juillet, l’exécution de l’arrêté litigieux est de nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale à la situation du requérant et de sa famille […]. Il ajoute que le fait que le requérant ait introduit la requête le 12 août alors que l’arrêté litigieux, datant du 30 juillet, n’a été affiché que le 3 août, n’est pas de nature à lui dénier son caractère d’urgence. Ensuite, le juge retient que la quasi-totalité de l’emprise du campement se situe dans une zone d’aléa moyen ou faible correspondant à un risque d’effondrement modéré, et que : « Au demeurant, eu égard à la nature des installations présentes sur le campement, qui consistent […] en quelques abris précaires en bois et deux ou trois tentes, le non-respect des prescriptions du plan de prévention des risques naturels de la commune […] ne permet pas de caractériser un risque grave ou imminent pour leurs occupants ou les tiers. » De plus le juge relève que l’arrêté mentionne la présence de fontis[8] alors qu’aucun rapport n’en fait état[9].
Par ailleurs, le juge retient que la localisation et les conditions d’occupation du terrain ne permettent pas de caractériser un risque grave ou imminent pour les occupants ou pour des personnes extérieures. En effet, le juge relève qu’il n’y pas d’habitations aux alentours, que les habitants ont accès à l’eau grâce à une fontaine publique à proximité, à l’assainissement grâce à l’installation de toilettes sèches, qu’ils disposent d’un groupe électrogène pour l’électricité et ont aménagé une cuisine indépendante munie d’une bouteille de gaz. Le juge rappelle aussi qu’il n’est pas démontré que l’occupation cause des nuisances. Il note en outre que la commune n’a procédé à aucune évaluation des conséquences de l’expulsion et de la situation particulière des habitants, et juge que : « Par suite, ni la nécessité ni la proportionnalité de la mesure n’étant démontrée, l’arrêté litigieux porte, en l’état de l’instruction, une atteinte grave et manifestement illégale au droit au respect de la vie privée et familiale du requérant et à l’intérêt supérieur de l’enfant. ». Le juge ordonne donc la suspension de l’arrêté.
Si la décision est annulée après qu’elle a été exécutée ou si les conditions de l’exécution forcée n’étaient pas réunies, il est possible de former un recours en indemnité en réparation du dommage subi.
Plus encore, même si la jurisprudence est rare sur ce point, il est, sur le principe, également possible de saisir le juge pour obtenir la réparation résultant de la destruction des biens et de la disparition des effets personnels de l’occupant à l’occasion de l’opération d’évacuation menée par les forces de l’ordre.
CHAPITRE 4. L’EXÉCUTION DE LA DÉCISION D’EXPULSION ET/OU D’ÉVACUATION
I. Le concours de la force publique
L’administration ne peut en principe recourir à la force publique pour faire exécuter une décision d’expulsion que si la loi l’y autorise expressément ou s’il y a urgence.
L’article L. 153-1 du Code des procédures civiles d’exécution fixe le principe du concours de la force publique. Il prévoit que « l’État est tenu de prêter son concours à l’exécution des jugements et des autres titres exécutoires. Le refus de l’État de prêter son concours ouvre droit à réparation. »
En pratique, dans le cadre de la procédure d’expulsion, la question de la durée des effets de cette décision est récurrente.
Pour savoir pendant combien de temps une telle décision peut produire ses effets juridiques, il faut se demander quelle est sa nature juridique.
Quelle est la nature juridique de la décision préfectorale d’octroi du concours de la force publique ?
La décision préfectorale d’octroi du CFP est un acte administratif unilatéral. En effet, c’est un acte juridique né de la volonté d’une autorité administrative et modifiant l’ordonnancement juridique.
Critère matériel : La décision préfectorale d’octroi du CFP est un acte administratif unilatéral individuel (donc non règlementaire car il vise une personne déterminée).
Acte créateur de droit : La décision d’octroi du CFP est un acte individuel qui accorde un avantage administratif, à savoir l’autorisation au propriétaire de demander que les forces de l’ordre procèdent à l’expulsion d’un occupant sans droit ni titre.
Décision administrative prise sur demande : La décision préfectorale d’octroi du CFP est prise sur demande de la personne propriétaire (CE 10 févr. 2014, no 350265)
Quand est-ce que la décision préfectorale d’octroi du CFP disparaît et cesse de produire ses effets ?
La décision d’octroi du CFP est un acte administratif unilatéral donc en principe pour qu’il ne produise plus ses effets juridiques :
- Soit l’autorité qui l’a édictée l’abroge ou la retire (CE, Soc., n° 306084, 6 mars 2009, Coulibaly[10]) : à condition d’être illégale, et de demander le retrait/abrogation dans le délai de 4 mois (CE, 26 octobre 2001, Ternon). Ex : si la décision d’octroi du CFP a été accordée en l’absence d’une décision de justice d’expulsion ayant force exécutoire).
- Soit l’acte disparaît par l’effet du temps:
- Son auteur peut lui fixer un terme au-delà duquel l’acte cesse de s’appliquer sans besoin de prendre un acte contraire (ex : arrêté municipal de couvre-feu)
- Disparition par caducité : elle peut être constatée par l’Administration si une loi l’a prévu (ex : permis de construire)
- Hormis ces 2 hypothèses, pas de disparition « naturelle » au bout d’un certain temps : « […] faute d’être prévues par une manifestation de puissance publique, la désuétude, la péremption, la prescription extinctive n’existent pas contre un acte administratif unilatéral.[…] un acte administratif unilatéral demeure en vigueur aussi longtemps qu’un acte contraire n’y a pas mis fin.[11] ».
- Soit l’acte disparaît après avoir été annulé par le juge administratif (recours en excès de pouvoir). Ce recours en annulation peut être doublé d’une demande suspension par la voie du référé liberté (article L. 521-2 CJA) ou suspension (article L. 521-1 CJA ; CE 5 déc. 2005, Min. Sécurité intérieure c/ Chataignier, n°280050 – CE 30 juin 2010, n°332259). Voir supra (point E) pour des décisions de suspension ou d’annulation.
L’autorité préfectorale peut refuser d’accorder son concours à l’exécution d’une décision d’expulsion dans le cas où celle-ci occasionnerait un trouble grave à l’ordre public. Elle peut, par exemple, légalement refuser d’accorder le concours de la force publique lorsqu’une expulsion aurait pour effet de porter gravement atteinte au principe de dignité de la personne humaine, aujourd’hui rattaché à la notion d’ordre public.
Les occupants peuvent, quant à eux, contester au contentieux la décision d’accorder le concours de la force publique, en se prévalant des effets excessifs de la mesure d’expulsion sur leur situation personnelle.
CE, 30 juin 2010, n° 332259
En l’espèce, le Conseil d’Etat est saisi d’un recours en excès de pouvoir. En application de l’article L. 821 – 2 du Code de justice administrative, il règle l’affaire au fond et se prononce également sur le bien-fondé du référé suspension introduit par la personne expulsée.
Concernant la demande d’annulation il retient que : « Considérant que toute décision de justice ayant force exécutoire peut donner lieu à une exécution forcée, la force publique devant, si elle est requise, prêter main-forte à cette exécution ; que, toutefois, des considérations impérieuses tenant à la sauvegarde de l’ordre public ou à la survenance de circonstances postérieures à la décision judiciaire d’expulsion telles que l’exécution de celle-ci serait susceptible d’attenter à la dignité de la personne humaine, peuvent légalement justifier, sans qu’il soit porté atteinte au principe de la séparation des pouvoirs, le refus de prêter le concours de la force publique ; qu’en cas d’octroi de la force publique il appartient au juge de rechercher si l’appréciation à laquelle s’est livrée l’administration sur la nature et l’ampleur des troubles à l’ordre public susceptibles d’être engendrés par sa décision ou sur les conséquences de l’expulsion des occupants compte tenu de la survenance de circonstances postérieures à la décision de justice l’ayant ordonné, n’est pas entachée d’une erreur manifeste d’appréciation. »
En l’absence d’autorisation du juge ou du législateur, le recours à la force n’est pas possible pour procéder à l’expulsion des occupants, même s’ils sont sans droit ni titre et si la décision d’évacuation est légale, que s’il y a urgence à faire procéder à cette évacuation, par exemple pour faire cesser une menace immédiate pour la sécurité ou la salubrité publique.
L’usage de la force doit par ailleurs être proportionné au regard de la situation des intéressés et ne pas aller au-delà de ce qui est strictement nécessaire à l’exécution de la décision.
Le concours de la force publique est donc nécessaire également pour mettre en œuvre une évacuation sur la base d’un arrêté municipal ou préfectoral d’évacuation (voir supra.)
CE, 19 décembre 2012, n° 364444
Le Conseil d’État justifie l’exécution d’office d’un arrêté municipal par les faits :
- D’une part qu’elle est « intervenue afin de faire cesser le danger imminent que les conditions de vie dans les installations illicites constituaient pour leurs occupants, eu égard en particulier à l’absence d’eau potable et de système d’assainissement, à la présence d’appareils de chauffage obsolètes et à l’accumulation de déchets ayant favorisé la prolifération d’une colonie de rats. »
- D’autre part qu’elle a été précédée d’une réunion préparatoire « visant à ce que l’opération soit organisée dans des conditions permettant de préserver dans toute la mesure du possible la situation individuelle des personnes intéressées. »
En matière de suspension :
Remarque : Peu de décisions de justice annulent ou suspendent le concours de la force publique pour les expulsions concernant les bidonvilles et les squats. Il peut être intéressant de se référer aux décisions de justice prononçant l’annulation du concours de la force publique concernant des expulsions locatives qui, elles, sont plus nombreuses, et seraient susceptibles de s’appliquer aux expulsions concernant les habitants de bidonvilles et squats, et de bénéficier ainsi aux droits des habitants de terrains occupés sans titre.
TA Bordeaux, 2 mai 2016, n° 1601695
Dans cette ordonnance, la requérante demandait la suspension de l’exécution de la décision du préfet de la Gironde du 22 mars 2016 qui accordait le concours de la force publique pour exécuter la décision d’expulsion locative d’une habitante occupant son logement sans titre.
Saisi en urgence, le juge des référés a considéré dans cette ordonnance « qu’eu égard aux circonstances particulières de l’espèce dont le juge judiciaire n’a pas eu connaissance, et qui pour certaines d’entre elles sont d’ailleurs postérieures à l’intervention de sa décision, l’exécution de celles-ci serait susceptible d’attenter à la dignité de la personne humaine ; que par suite, le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation entachant la décision préfectorale en litige décidant d’accorder le concours de la force publique est propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à sa légalité ; […]. » Le juge suspend donc la décision du préfet de la Gironde du 22 mars 2016.
TA Paris, 14 août 2017, n° 1712214/9
TA Paris, 9 octobre 2017, n° 1714956/9
Pour une requérante prioritaire dans le cadre du DALO :
« […] eu égard à l’état de dénuement actuel dans lequel se trouve la requérante, le moyen tiré de l’erreur manifeste d’appréciation au regard des risques de troubles à l’ordre public, dont le risque d’ordre social est une composante, qu’est susceptible de provoquer la décision préfectorale autorisant l’expulsion du logement qu’elle continue d’occuper, faute d’avoir trouvé une solution de relogement, est propre à créer un doute sérieux quant à la légalité de cette décision. »
« Considérant qu’il résulte de ce qui précède qu’il y a lieu d’ordonner la suspension de l’exécution de la décision par laquelle le préfet de police a accordé le concours de la force publique pour procéder à l’expulsion de Madame X. du logement qu’elle occupe et ce jusqu’à ce qu’il soit statué au fond sur sa requête ; […]. »
Toujours en matière d’expulsion locative, le juge a pu venir sanctionner le non-respect de certaines mesures par l’huissier :
TA Montpellier, ordonnance n° 2103770 du 2 août 2021
En 2018, un locataire menacé d’expulsion obtient un délai de deux ans pour quitter les lieux auprès du juge de l’exécution. La procédure d’expulsion ayant repris son cours à l’issue du délai, l’occupant forme un référé suspension contre la décision préfectorale d’octroi du concours de la force publique.
Le juge retient que la condition d’urgence est remplie car le requérant atteste d’une situation exceptionnelle au regard de son état de santé rendant ses démarches de relogement d’autant plus difficiles qu’il ne dispose pas de ressources suffisantes pour accéder au parc privé, qu’il a à sa charge sa fille mineure et que l’expulsion est imminente. Ensuite, il relève qu’il existe un doute quant à la légalité de la décision litigieuse car l’huissier, en demandant le concours de la force publique, n’a pas exposé les diligences accomplies ni fait part des difficultés d’exécution au préfet, et que la commission de coordination des actions de prévention des expulsions locatives (CCAPEX) n’a pas été saisie conformément à l’article L. 412-5 du Code des procédures civiles d’exécution. Le juge prononce donc la suspension de la décision.
D’autres décisions concernant les expulsions locatives se trouvent sur le site de Jurislogement.
Récemment le concours de la force publique a été suspendu pour un squat :
TA Toulouse, ordonnance n° 2003985 du 20 août 2020
Une famille vit dans une maison inoccupée appartenant à une société. Le tribunal d’instance ayant ordonné l’expulsion, la famille sollicite une prise en charge par le dispositif de veille sociale, qui leur est accordée pour 3 mois. A la fin du délai la famille retourne sur les lieux, puis le préfet accorde le concours de la force publique. La famille forme un référé liberté demandant la suspension de la décision préfectorale. Le juge administratif estime que la condition d’urgence est remplie en raison, d’une part, de l’imminence de l’expulsion et, d’autre part, des conséquences que celle-ci aurait pour la famille, à savoir : « […] de mettre à la rue, dans un contexte de pandémie, la famille dont l’enfant mineur de deux ans est atteint d’une pathologie grave et dont le père est immobilisé à la suite d’un accident lui ayant sectionné le pied par une scie circulaire. »
Ensuite, le juge rappelle que lorsque le concours de la force publique a été accordé, le juge doit examiner si l’administration n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation dans l’évaluation des conséquences que l’expulsion aurait sur les occupants, notamment en raison de circonstances survenues postérieurement à la décision d’expulsion. En l’espèce, le juge relève que si l’enfant était malade au moment de la décision d’expulsion, l’accident du père et l’arrivée de la pandémie de Covid-19 sont intervenues après celle-ci. De plus, il retient que la famille a formé une demande de prise en charge avant la décision d’expulsion.
Enfin, il estime que : « le préjudice subi par la filiale de la SNCF qui a laissé longtemps l’immeuble inoccupé avant de manifester sa volonté d’y reloger des agents est relativement moins important que celui causé aux requérants en les mettant à la rue avec leur enfant dans un contexte de pandémie et sans leur proposer de solution d’hébergement d’urgence. » Par conséquent, selon le juge, la décision préfectorale porte une atteinte grave et manifestement illégale à la dignité humaine et à l’intérêt supérieur de l’enfant et est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation au regard de ses conséquences sur les requérants. Le juge ordonne la suspension de la décision accordant le concours de la force publique jusqu’à la reprise en charge des requérants dans le dispositif d’hébergement hôtelier ou dans tout autre dispositif d’hébergement d’urgence.
En matière d’annulation :
TA Paris, 30 mai 2017, n° 1601582
Les habitants d’un terrain demandent l’annulation de la décision de décembre 2015 par laquelle le préfet de police accorde le concours de la force publique pour exécuter la décision d’expulsion dont ils font l’objet. Le juge administratif estime « qu’ainsi, eu égard aux risques, d’une part, de dissémination de la tuberculose sur d’autres populations situées à l’extérieur du campement et, d’autre part, d’interruption des traitements en cours qu’emporterait l’expulsion des occupants du campement, [la décision autorisant le concours de la force publique] porterait atteinte à la dignité de la personne humaine, et ce alors même que les conditions de vie dans le campement en cause sont insatisfaisantes, s’agissant notamment de l’hygiène ; que, dans ces conditions, le préfet de police a commis une erreur manifeste d’appréciation en accordant le concours de la force publique ; […]. »
Cette décision a cependant été annulée en appel par un arrêt de la CAA Paris, 23 octobre 2018, n° 17PA02708.
TA Lille, 7 mars 2019, n°1709774
Le 19 septembre 2017, 600 personnes présentes sur la commune de Grande-Synthe avaient été expulsées de leurs lieux de vie par les forces de l’ordre et contraintes de monter dans les bus spécialement affrétés pour les acheminer vers des centres d’accueil et d’orientation (CAO), sous prétexte d’une « opération humanitaire de mise à l’abri ». Les tentes et les biens des occupants avaient été détruits par les forces de l’ordre. Un collectif d’associations et trois occupants avaient saisi le tribunal administratif afin de solliciter l’annulation de la décision préfectorale de recourir à la force publique pour procéder à l’évacuation et l’annulation de l’arrêté préfectoral pris sur la base de l’État d’urgence autorisant la police judiciaire à effectuer des contrôles d’identité et de véhicule.
Concernant l’évacuation, le tribunal constate qu’elle s’est faite en dehors de toute base légale. En effet, le préfet n’a fondé son recours à la force publique, ni sur une décision de justice, ni sur décision administrative. Le tribunal rappelle également que l’orientation vers les CAO ne peut être proposée qu’avec le consentement exprès des personnes et sans contrainte. En conséquence, le tribunal annule la décision préfectorale de recourir à la force publique.
Sur l’arrêté préfectoral pris sur la base de l’Etat d’urgence, le tribunal considère que par son caractère général et impersonnel, il porte une atteinte excessive aux libertés fondamentales. Il est donc également annulé par le tribunal.
En matière d’expulsion locative à nouveau :
TA de Montreuil, 6 juin 2019, n° 1803723
En exécution d’un jugement d’expulsion, le préfet de Seine-Saint-Denis a accordé, le 10 avril 2018, le concours de la force publique. La locataire sollicite devant le tribunal administratif son annulation.
Le juge rappelle qu’en cas de circonstances impérieuses tenant à la sauvegarde de l’ordre public ou à la survenance de circonstances postérieures à la décision judiciaire d’expulsion telles que l’exécution de celle-ci serait de nature à attenter à la dignité de la personne humaine, le refus de prêter le concours de la force publique à l’exécution d’une décision de justice peut être légalement justifié.
En l’espèce, il constate que l’époux de la locataire a été victime postérieurement au jugement d’expulsion d’un accident neurologique le rendant handicapé. Il précise également que par un jugement postérieur à l’octroi du concours de la force publique, le tribunal d’instance a suspendu la décision d’expulsion. Il juge en conséquence que la décision préfectorale est entachée d’une erreur manifeste d’appréciation et annule le concours de la force publique.
II. Le respect de la procédure : tentative d’expulsion, procès-verbal d’expulsion, inventaire des meubles
Pour que le propriétaire du terrain puisse légalement expulser les occupants, une décision de justice ne suffit pas en elle-même. Certains actes doivent être respectés sous peine de déclarer l’expulsion illégale. C’est le cas par exemple du procès-verbal d’expulsion qui, en l’absence de certains éléments, est entaché de nullité.
L’article R. 432-2 du CPCE précise à cet effet que :
« L’huissier de justice dresse un procès-verbal des opérations d’expulsion qui contient, à peine de nullité :
1° La description des opérations auxquelles il a été procédé et l’identité des personnes dont le concours a été nécessaire ;
2° La désignation de la juridiction compétente pour statuer sur les contestations relatives aux opérations d’expulsion. »
A son tour, l’article R. 433-1 du même code énonce que :
« Si des biens ont été laissés sur place ou déposés par l’huissier de justice en un lieu approprié, le procès-verbal d’expulsion contient, en outre, à peine de nullité : 1° Inventaire de ces biens, avec l’indication qu’ils paraissent avoir ou non une valeur marchande ; 2° Mention du lieu et des conditions d’accès au local où ils ont été déposés ; 3° Sommation à la personne expulsée, en caractères très apparents, d’avoir à les retirer dans le délai d’un mois non renouvelable à compter de la signification de l’acte, faute de quoi les biens qui n’auront pas été retirés pourront être, sur décision du juge, vendus aux enchères publiques ou déclarés abandonnés selon le cas ; 4° Convocation de la personne expulsée d’avoir à comparaître devant le juge de l’exécution du lieu de la situation de l’immeuble à une date déterminée qui ne peut être antérieure à l’expiration du délai imparti au 3°, afin qu’il soit statué sur le sort des biens qui n’auraient pas été retirés avant le jour de l’audience. »
Ainsi, il est possible pour des habitant⋅e⋅s sans titre d’un terrain qui ont fait l’objet d’une expulsion, de demander des dommages-intérêts au titre de la réparation des préjudices (matériels et moraux) lorsqu’il s’avère que le procès-verbal d’expulsion est entaché de nullité ou que d’autres règles de procédure n’ont pas été respectées.
TGI Bobigny, Juge de l’exécution, 21 décembre 2017, n° 17/09269
Les requérants, ayant fait l’objet d’une expulsion de l’immeuble qu’ils occupaient sans titre, soutenaient que le procès-verbal d’expulsion était entaché de nullité en raison, entre autre, de l’absence d’inventaire des meubles laissés sur place. Ils affirmaient que ces meubles avaient une valeur marchande et la commune n’avait pas répondu à leur demande de restitution. Après avoir rappelé les dispositions de l’article R. 433-1 du CPCE, le juge estime que « Le procès-verbal d’expulsion établi le 3 octobre 2017 à la demande de la commune n’inclut pas d’inventaire des biens laissés sur place et mentionne uniquement que ces biens sont des meubles de récupération ou sans valeur. Le fait que les meubles sont sans valeur n’emporte aucune conséquence quant à l’obligation de l’huissier de justice d’établir une liste des meubles laissés sur place. Par ailleurs, le procès-verbal d’expulsion ne mentionne pas le lieu où ces meubles ont été déposés, les conditions d’accès à ce lieu et la sommation à la personne expulsée d’avoir à les retirer dans le délai d’un mois. » Il en résulte que le procès-verbal est entaché de nullité. Par la suite, le juge de l’exécution tire les conséquences de cette illégalité. Ainsi, « Compte-tenu de la nullité du procès-verbal d’expulsion du 3 octobre 2017, il sera fait droit à la demande de dommages-intérêts au titre du préjudice matériel et moral formulée par les demandeurs. L’appartenance de [ces derniers] à une minorité vulnérable implique en outre de tenir particulièrement compte de leurs besoins et de leur mode de vie. »
III. La perte ou la destruction des biens
Il est très fréquent que les expulsions des habitant⋅e⋅s de terrains ou de squats réalisées avec le concours de la force publique s’accompagnent dans la pratique de la perte, de la dégradation ou de la destruction de leurs biens par les agents chargés de procéder aux expulsions, sans que de telles privations ne soient sanctionnées. L’article 322-1 du Code pénal énonce pourtant que « La destruction, la dégradation ou la détérioration d’un bien appartenant à autrui est punie de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende, sauf s’il n’en est résulté qu’un dommage léger. » La peine pénale pourra d’ailleurs être aggravée si l’infraction « est commise à raison de l’appartenance ou de la non-appartenance, vraie ou supposée, de la personne propriétaire ou utilisatrice de ce bien à une ethnique, une nation, une race ou une religion déterminée. » (Article 322-2 alinéa 4 du Code pénal).
Si la pratique de la destruction ou de la dégradation des biens est fréquente durant les expulsions et peut faire l’objet d’une demande de dommages-intérêts au titre de la réparation du préjudice matériel subi par les occupants, elle est rarement demandée par les personnes concernées, et très rarement reconnue par le juge.
TGI de Bobigny, Juge de l’exécution, 19 septembre 2017, n° 17/05958
Se prononçant sur l’indemnisation demandée par les requérants du fait de la perte de certains meubles à la suite de l’expulsion de leur logement et pour lesquels aucune adresse du lieu d’emplacement ne leur avait pas été communiquée, le juge précise qu’« En l’espèce, Madame H. ne conteste pas que l’huissier qu’elle a mandaté a commis une faute en ne s’assurant pas de la conservation des meubles trouvés sur les lieux de l’expulsion, cette faute étant en lien direct avec le préjudice matériel résultant de la perte définitive de ces meubles puisque, en l’absence d’expulsion, les meubles n’auraient pas été perdus. » Par conséquent, la propriétaire des lieux est condamnée à payer une somme au titre des préjudices matériels et moraux aux requérants.
CHAPITRE 5. LES DROITS FONDAMENTAUX DES HABITANTS SANS DROIT NI TITRE
Les habitants sans droit ni titre ne sont pas dépourvus de tout droit. Certains droits peuvent être obtenus dès leur installation sur un terrain ou dans un squat ; d’autres doivent être pris en compte lorsqu’il est procédé à une expulsion.
I. Droit à la défense, aide juridictionnelle et droit à un procès equitable
Lorsqu’une demande d’aide juridictionnelle est déposée, les demandeurs ou leur avocat.e sont en droit de solliciter le renvoi de l’audience, comme pour toute autre procédure. Cependant ce droit leur est plus souvent nié.
CA Douai, arrêt n°14/00194 du 8 janvier 2015
Non-respect du droit au procès équitable et bénéfice de l’aide juridictionnelle obtenu postérieurement à l’audience.
L’OPH de la Métropole de Lille forme un référé pour obtenir l’expulsion d’une famille vivant dans un logement lui appartenant. Le juge de première instance prononce l’expulsion ainsi que la suppression du délai de 2 mois prévu par l’article L. 412-1 du CPCE. La famille interjette appel de la décision auprès de la Cour d’appel de Douai, en demandant qu’il soit sursis à l’exécution de l’ordonnance. Cette dernière fait valoir qu’elle ne dispose d’aucune solution de relogement alors que les enfants sont scolarisés, et que l’OPH ne justifie d’aucun projet imminent sur le logement en question. Ils font également valoir que l’ordonnance est affectée d’une irrégularité manifeste car le juge a refusé le renvoi de l’affaire, sollicité dans l’attente d’une décision du bureau de l’aide juridictionnelle.
La Cour d’appel retient que : « […] une décision irréversible ne peut être prise que dans le respect manifeste du principe équitable. » Or, puisque les appelants n’ont obtenu le bénéfice de l’aide juridictionnelle qu’après l’audience, la Cour juge qu’il était loisible à l’avocat, en vertu de son mandat, de n’intervenir que pour solliciter le renvoi de l’affaire, dans l’attente de sa désignation par le bureau de l’aide juridictionnelle. Dès lors, la Cour d’appel prononce la suspension de l’exécution de l’ordonnance.
CA Paris, arrêt n°RG21/18122 du 27 janvier 2022
Une société forme un référé d’heure à heure en vue d’obtenir l’expulsion de familles vivant sur un terrain lui appartenant. La date d’audience étant fixée dans un délai de quarante-huit heures, l’avocate des défendeurs sollicite le renvoi de l’affaire, ayant déjà une autre audience fixée à cette date. L’audience a lieu malgré tout, et la demande de réouverture des débats en cours de délibéré est rejetée. Le juge de première instance prononce l’expulsion sans délai des défendeurs. Ceux-ci interjettent appel de l’ordonnance devant la Cour d’appel, invoquant notamment la violation du droit au procès équitable protégé par l’article 6 de la CESDHLF.
Celle-ci retient que le délai de quarante-huit heures laissé par le premier juge au conseil des défendeurs était insuffisant pour lui permettre d’organiser la défense de ses clients. En effet, la Cour rappelle que le juge doit s’assurer qu’un temps suffisant entre l’assignation et l’audience s’écoule afin que la partie assignée puisse préparer sa défense. Elle précise que : « Aussi, alors que la nature du litige ne justifiait pas un délai de traitement aussi rapide, le premier juge a contrevenu au principe de la contradiction en retenant l’affaire deux jours seulement après la délivrance de l’assignation au défendeur. ». La Cour annule l’ordonnance et statue au fond, confirmant à ce titre l’expulsion des appelants. Concernant la demande délais, la Cour retient l’existence d’une voie de fait et écarte donc l’application du délai de deux mois pour quitter les lieux à compter de la signification du commandement de quitter les lieux. Néanmoins, elle octroie le bénéfice de la trêve hivernale aux appelants en considérant d’une part qu’il ne s’agissait pas en l’espèce du domicile d’autrui, et d’autre part, que malgré l’existence d’une voie de fait : « (…) il ne sera pas fait usage de cette faculté compte tenu de la situation très précaire des occupants, appartenant à la communauté du voyage, et du contexte sanitaire actuel ».
Enfin, la Cour accorde un délai de grâce de trois mois aux appelants compte tenu de leur appartenance à un groupe socialement défavorisé rencontrant des difficultés d’insertion et du fait que le propriétaire ne justifie d’aucune urgence à récupérer la jouissance de sa parcelle du fait d’un quelconque projet en cours.
II. Droit d’accès à l’eau potable et à l’assainissement
Le droit d’accès à l’eau potable est à l’assainissement vise d’une part :
-Le droit de toute personne d’accéder à l’eau potable pour l’alimentation (eau pour boire et cuisiner)
-Le droit de toute personnes d’accéder à l’assainissement de l’eau. L’assainissement permet notamment de capter les eaux usées domestiques pour les transformer en eau potable, et comprennent d’une part les “eaux grises” (ou “eaux ménagères” utilisées pour se laver, faire la vaisselle, la lessive, etc.), et d’autre part les “eaux noires” venant des toilettes).
Ce droit ne fait pas l’objet d’une reconnaissance unanime et autonome en droit interne, européen ni international. Toutefois il existe de nombreux textes juridiques qui œuvrent pour une telle reconnaissance.
Droit international
Le droit à l’eau potable et à l’assainissement est consacré de manière dérivée :
- Observation générale n° 15 du 26 novembre 2002 sur le droit à l’eau, Comité des droits sociaux économiques et culturels de 2002 (fondée sur les articles 11 et 12 PIDESC[12]) : “L’eau est une ressource naturelle limitée et un bien public ; elle est essentielle à la vie et à la santé. Le droit à l’eau est indispensable pour mener une vie digne. Il est une condition préalable à la réalisation des autres droits de l’Homme […]. Le droit à l’eau consiste en un approvisionnement suffisant, physiquement accessible et à un coût abordable, d’une eau salubre et de qualité acceptable pour les usages personnels et domestiques de chacun […].”
- Résolution 64/292 de l’Assemblée Générale des Nations Unies du 28 juillet 2010 qui reconnaît que “le droit à l’eau potable et à l’assainissement est un droit de l’Homme, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’Homme”, et qu’il signifie que l’eau doit être salubre et propre.
- Résolution 15/9 du Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies, 2010, confirmation de la reconnaissance ; le droit à l’eau dérive du droit à un niveau de vie suffisant (article 25 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948).
- Résolution 70/169 de l’AG des Nations Unies, 17 décembre 2015 : « le droit de l’Homme à l’assainissement doit permettre à chacun, sans discrimination, d’avoir accès physiquement et à un coût abordable, à des équipements sanitaires, dans tous les domaines de la vie, qui soient sans risque, hygiéniques, sûrs, socialement et culturellement acceptables et gages d’intimité et de dignité » ; réaffirmation que le droit à l’eau potable et le droit à l’assainissement découlent du droit à un niveau de vie suffisant.
Droit de l’Union européenne
- Articles 2.2[13],11[14] et 12 du Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels.
- Le Parlement européen s’est prononcé en faveur d’une reconnaissance internationale du droit à l’eau. Ainsi, par une résolution en date du 15 mars 2012, à l’occasion du 6e Forum mondial de l’eau, à Marseille (12-17 mars 2012), il a affirmé : “ […] l’eau est un bien commun de l’humanité et […] dès lors, elle ne devrait pas être une source de profit illégitime et […] l’accès à l’eau devrait être un droit fondamental et universel » (Résolution n° P7 TA (2012)0091, 15 mars 2012).
Droit interne
En droit interne l’article L. 210-1 du Code de l’environnement prévoit également que « l’usage de l’eau appartient à tous et chaque personne physique, pour son alimentation et son hygiène, a le droit d’accès à l’eau potable dans des conditions économiquement acceptables par tous ».
En droit français, le droit à l’eau ne constitue pas un principe ou objectif à valeur constitutionnelle. Néanmoins, le droit à l’eau potable est intimement lié au droit au logement décent qui, lui, a été reconnu comme objectif à valeur constitutionnelle par le Conseil constitutionnel en 1995 (Cons. const., 19 janvier 1995, décision n° 94-359 DC).
Ce même droit à l’eau potable et à l’assainissement peut être rattaché à la protection à la santé publique, celle-ci relevant du bloc de constitutionnalité, prévue au 11e alinéa du Préambule de la Constitution. Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs affirmé le statut d’objectif à valeur constitutionnelle la protection de la santé publique (Cons. const., 13 août 1993, décision n° 93-325 DC).
Ce droit est rattaché au principe à valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignité humaine ainsi qu’au droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains et dégradants. Les autorités de police générale (Maire, Préfet et Premier Ministre) sont garantes du droit au respect de la dignité humaine. Elles doivent donc prendre en compte les besoins élémentaires des personnes vivant dans des lieux de vie informels afin de les préserver des traitements inhumains ou dégradants résultant de leurs conditions de vie. Le droit au respect de la dignité humaine permet donc de rendre indirectement opposable un droit d’accès à de l’eau potable.
Au sein de la jurisprudence internationale, la reconnaissance d’un droit autonome d’accès à l’eau potable et à l’assainissement n’est pas consacrée non plus, mais de manière dérivée. La Cour européenne des droits de l’Homme a pu reconnaître que l’absence d’accès à l’eau potable et à l’assainissement était susceptible de porter atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale des personnes.
CEDH, Hudorovic̆ et a. c/ Slovénie, n° 24816/14 et 25140/14, 10 mars 2020
Dans cette affaire, les requérants vivent dans deux bidonvilles dépourvus d’accès à l’eau potable et d’équipements d’assainissement. Ils font valoir une violation des articles 3, 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CESDHLF).
Ils alléguaient qu’ils n’avaient pas accès aux services collectifs de base, et notamment à l’eau potable et à des équipements d’assainissement. Ils soutenaient également que les collectivités locales avaient fait preuve à leur égard d’une attitude discriminatoire notamment en ne prenant pas en considération leurs besoins spécifiques en tant que membres de la communauté Rom.
La Cour précise que « l’accès à l’eau potable n’est pas, en tant que tel, un droit protégé par l’article 8 de la Convention », elle le fait entrer, par la protection par ricochet, dans le champ de l’article 8. En effet, la Cour considère que le manque persistant d’accès à l’eau potable est susceptible, par ses « conséquences néfastes pour la santé et la dignité humaine », de porter atteinte au droit à la vie privée et à la jouissance du domicile, au sens de l’article 8. » La Cour n’exclut donc pas que pareille situation, corroborée par des éléments convaincants, pourrait être de nature à faire naître pour l’État les obligations positives découlant de l’article 8.
En l’espèce, la Cour relève que les autorités nationales ont pris en compte la situation des requérants en leur accordant des prestations sociales leur assurant un certain niveau de subsistance et que les autorités municipales ont pris des mesures concrètes (installation de réservoirs d’eau, etc.) donnant aux requérants la possibilité d’avoir accès à l’eau potable. La Cour juge donc que l’Etat a satisfait à son obligation positive d’assurer à un groupe socialement défavorisé l’accès à l’eau potable et à l’assainissement.
Concernant l’article 3, la Cour n’exclut pas la possibilité que la responsabilité de l’Etat puisse être engagée par un “traitement” dans le cadre duquel un requérant, totalement dépendant de l’aide publique, serait confronté à l’indifférence des autorités, alors qu’il se trouverait dans une situation de grande misère incompatible avec la dignité humaine. Néanmoins, des mesures positives, permettant aux requérants d’avoir accès à l’eau potable, ont été prises par les autorités internes. Pour cette raison, même si les souffrances alléguées avaient atteint le seuil de gravité requis pour tomber sous le coup de l’article 3, il n’y aurait pas eu violation de cet article.
Le Conseil d’État considère quant à lui qu’un refus de raccordement d’un domicile à l’eau potable ou à l’électricité peut constituer une ingérence dans le droit au respect à la vie privée et familiale de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
CE, 15 décembre 2010, n° 323250
« La décision par laquelle le maire refuse, sur le fondement de l’article L. 111-6 du Code de l’urbanisme, un raccordement d’une construction à usage d’habitation irrégulièrement implantée aux réseaux d’électricité, d’eau, de gaz ou de téléphone a le caractère d’une ingérence d’une autorité publique dans le droit au respect de la vie privée et familiale » qui doit être proportionnée au but légitime poursuivi.
Il s’agit bien d’une atteinte à la vie privée et familiale pouvant être invoquée à l’appui d’un référé-liberté.
CE, 27 Juin 1994, Charpentier, n° 85436
« Considérant que si, en vertu de l’article L. 111-6 du Code de l’urbanisme, peut être refusé le raccordement en eau d’un bâtiment, d’un local ou d’une installation construit ou transformé en méconnaissance des dispositions des articles L. 111-1, L. 421-11 ou L. 510-1 du même code et si le Syndicat intercommunal du Goëlo pouvait refuser le raccordement d’un terrain particulier pour un motif tiré de la bonne gestion et de la préservation de la qualité du service d’adduction d’eau, il ne tenait d’aucun texte le pouvoir de refuser le raccordement au réseau d’eau potable de tous les terrains non constructibles ; que, dès lors, la délibération attaquée est entachée d’une erreur de droit et doit être annulée. »
Plus récemment, le juge administratif s’est prononcé en faveur du droit d’accès à l’eau potable :
CE référé, 23 novembre 2015, n°394540
La haute juridiction administrative estime qu’en absence de texte particulier, « il appartient en tout état de cause aux autorités titulaires du pouvoir de police générale, garantes du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité humaine, de veiller, notamment, à ce que le droit de toute personne à ne pas être soumise à des traitements inhumains ou dégradants soit garanti ».
Si des carences des autorités publiques exposent des personnes à être soumises, de manière caractérisée, à un traitement inhumain ou dégradant, portant ainsi atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, et si la situation permet de prendre utilement des mesures de sauvegarde dans un délai de 48h, le juge des référés peut prescrire toutes les mesures de nature à faire cesser la situation résultant de ces carences.
Ainsi, dans le cas d’espèce, « il résulte, tout d’abord, de l’instruction, que le centre “Jules Ferry” ne met à la disposition des migrants, de 10h30 à 19h30, que quatre points d’eau, 60 douches, 50 toilettes, dont 10 pour les femmes, ainsi que des bacs à laver ; que ne sont, en outre, implantés, sur la Lande que quatre points d’eau, dont trois comportant cinq robinets, 66 latrines et que 22 autres latrines n’ont été ajoutées que tout récemment en exécution de l’ordonnance attaquée ; que la distance pour accéder à ces installations peut atteindre 2 kilomètres ; que l’accès à l’eau potable et aux toilettes est, dans ces conditions, manifestement insuffisant […] » et porte ainsi atteinte à cette liberté fondamentale.
CE, 31 juillet 2017, n° 412125, 412171
Plusieurs centaines de personnes migrantes, dont certaines mineures, sont présentes à Calais, en dehors du centre-ville. « […] ces migrants, qui se trouvent dans un état de dénuement et d’épuisement, n’ont accès à aucun point d’eau ou de douche ni à des toilettes et ne peuvent ainsi, notamment, ni se laver ni laver leurs vêtements et souffrent en conséquence de pathologies telles que la gale ou des impétigos, de divers troubles liés à une mauvaise hygiène ou encore de plaies infectées ainsi que de graves souffrances psychiques résultant de cette situation ; Considérant que ces conditions de vie font apparaître que la prise en compte par les autorités publiques des besoins élémentaires des migrants qui se trouvent présents à Calais en ce qui concerne leur hygiène et leur alimentation en eau potable demeure manifestement insuffisante et révèle une carence de nature à exposer ces personnes, de manière caractérisée, à des traitements inhumains ou dégradants, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale […]. »
TA Melun, 17 juillet 2018, n° 1805797
Un terrain appartenant à l’État est occupé par 210 personnes dont 50 mineurs et 10 nourrissons. L’agence régionale de santé avait signalé au préfet la présence de maladies « en lien probable avec une absence d’accès à l’eau potable. » Le juge relève par ailleurs « que la prise en compte par les autorités publiques des besoins élémentaires des intéressés […] en ce qui concerne leur hygiène et leur alimentation en eau potable est manifestement insuffisante et révèle une carence de nature à exposer ces personnes, de manière caractérisée, à des traitements inhumains ou dégradants, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale […]. » Par conséquent, le juge enjoint le préfet du Val-de-Marne, en sa double qualité d’autorité de police et de représentant de l’État propriétaire du terrain litigieux, et au maire de la commune de Choisy-le-Roi, « de mettre en place à destination des occupants du campement, d’une part des WC mobiles de type chantier en nombre suffisant et entretenus hebdomadairement dans un délai de 48h à compter de la libération à cet effet au sein du terrain d’un emplacement adapté et, d’autre part, des points d’alimentation en eau potable provisoires pour les besoins de la vie courante, soit par dérivation d’un ou plusieurs des points d’eau du parc interdépartemental des sports situé à proximité, soit par des dispositifs de citerne présentant toutes les garanties sanitaires nécessaires […]. »
TA Lille, 31 juillet 2018, n° 1806567
Depuis le début de l’année 2017, plusieurs centaines de personnes migrantes se trouvent sur le territoire de la commune de Calais. Par ordonnance en date du 26 juin 2017, le tribunal administratif de Lille (TA Lille, 26 juin 2017, n° 1705379) avait enjoint au préfet et à la commune de Calais de créer, dans des lieux facilement accessibles aux personnes habitant le terrain, des points d’eau et des latrines. Le dispositif d’accès à l’eau mis en place par l’État étant insuffisant, un collectif d’associations a saisi le juge des référés pour demander l’amélioration de l’accès à l’eau. Le tribunal constate l’absence de latrines sur l’ensemble d’un secteur du bidonville et estime que cette carence est de « nature à porter une atteinte grave et manifestement illégale à la dignité des personnes présentes dans les campements. » En conséquence, il enjoint au préfet de mettre en place un nouveau point d’accès aux latrines entretenu régulièrement.
Dans le même sens :
TA Montreuil, 15 février 2021, n° 2101970
Remarque : Dans ces deux décisions, le juge rappelle l’obligation faite au préfet et à la commune d’assurer l’assainissement et l’alimentation en eau de tous les habitants. Les tribunaux administratifs de Melun et de Lille reprennent ainsi la jurisprudence du Conseil d’État du 31 juillet 2017 sur le droit à l’eau dans les bidonvilles.
TGI Bobigny, 24 janvier 2014, n° 13/02254
« Quant à l’absence d’infrastructure sanitaire et de point d’eau sur place, si elle caractérise l’extrême précarité dans laquelle vivent les personnes présentes et appelle à cet égard des mesures urgentes, il n’apparaît pas, faute de solution de relogement annoncée, que l’expulsion sollicitée puisse répondre à cette urgence en étant, par ses effets propres, de nature à mettre fin à cette situation de précarité, laquelle serait seulement renouvelée à l’identique en un autre lieu ;
Et il n’apparaît pas non plus, au demeurant, que la mobilisation de tous les services de l’État alléguée par la demanderesse ait permis, à ce jour, de mobiliser les moyens nécessaires pour satisfaire, ne serait-ce qu’à titre provisoire, les besoins élémentaires en eau et en évacuation des ordures ménagères qu’il eut pourtant été convenable d’assurer dans l’attente du diagnostic et des mesures d’accompagnement que la circulaire du 26 août 2012 relative à l’anticipation et à l’accompagnement des opérations d’évacuation des campements illicites invite les préfets à mettre en œuvre ; La fin de la situation d’urgence sanitaire invoquée ne pourrait, quoi qu’il en soit, résulter de la mise en œuvre des mesures sollicitées par la société requérante mais exclusivement de l’intervention des services techniques ou sociaux susceptibles, soit d’installer – sur place ou à proximité – les points d’eau et installations provisoires nécessaires, soit d’assurer un relogement dans des conditions sanitaires acceptables. »
TA Melun, ordonnance n° 2002971 du 14 avril 2020, ordonnances n° 2003045, n° 2003047, n° 2003048 du 20 avril 2020, ordonnance n° 2003335 du 6 mai 2020
Ces décisions ont été rendues dans un contexte particulier de crise sanitaire liée à l’épidémie de Covid‑19. Intervenue début mars 2020, la crise a favorisé l’introduction de plusieurs référés liberté dans le domaine des besoins essentiels.
En effet, la question de l’absence d’accès à l’eau potable et à l’assainissement s’est révélée cruciale dans un contexte exigeant le respect des gestes barrières et limitant les déplacements habituels pour accéder aux solutions de fortune d’ordinaire utilisées pour accéder à l’eau et à l’hygiène. Pour certaines décisions rendues dans ce contexte, les tribunaux ont donc enjoint les autorités à mettre en œuvre ce droit d’accès à l’eau potable et à l’assainissement de manière provisoire.
En l’espèce, des personnes vivant sur plusieurs terrains de différentes communes forment un référé liberté en demandant au juge d’ordonner que les services compétents mettent en place sur chaque site un point d’eau potable, procèdent à l’installation de latrines et de douches, et organisent une collecte des déchets.
Le juge rappelle qu’il a le pouvoir de prescrire les mesures provisoires pour faire cesser une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale[15], puis retrace les différentes étapes de la gestion de la crise sanitaire par les autorités. Il relève ensuite qu’en l’espèce si les autorités n’ont eu connaissance de ces occupations que dans le courant du mois de mars et avril, ni les communes ni les préfets n’ont démontré que les démarches d’accès à l’eau et à l’assainissement, ainsi qu’à la collecte des ordures, étaient effectives. Pour le juge, « L’absence de ces installations est de nature à poser des difficultés sanitaires importantes […] », ce qui démontre à la fois l’urgence de la situation mais aussi l’atteinte grave et manifestement illégale à la dignité humaine.
Concernant deux des sites, le juge ordonne la création d’un point d’eau potable, de latrines et l’organisation de la collecte d’ordures mais non de douches.
Pour les trois autres sites, le juge ordonne au préfet et aux communes, sous 48h, de prendre « les mesures nécessaires afin que soit assuré l’approvisionnement de ces personnes en eau potable, qu’elles disposent de dispositifs techniques leur permettant de s’y soulager de leurs déjections dans des conditions respectant les normes sanitaires en vigueur, que soit organisé un service de collecte des ordures ménagères et ce, à titre régulier et enfin, que soit installé le nombre de douches temporaires nécessaires à cette population. »
TA Cergy-Pontoise, ordonnance n° 2004196 du 28 avril 2020
TA Lille, ordonnance n° 2003191 du 29 avril 2020
Des familles vivent sur un terrain depuis 2020. Arguant que depuis l’état d’urgence sanitaire elles ne sont plus en mesure d’accéder à l’eau potable, aux installations sanitaires publiques, aux denrées alimentaires et aux produits d’hygiène nécessaires pour se laver et se nourrir, les familles forment un référé liberté. Le juge relève qu’aucun des équipements permettant de vivre dignement n’est présent sur ce terrain où vivent 82 personnes dont 29 enfants, à savoir un point d’accès à l’eau potable, des latrines et des douches. Notamment, le juge retient que « L’accès à l’eau potable se situe à 1,3 km du camp, ce qui, compte tenu de l’éloignement et des quantités d’eau nécessaires, évaluées […] à un minimum de 60 litres par jour par personne dans le cadre de l’épidémie Covid-19, rend impossible la satisfaction des besoins des occupants. »
Dans la seconde espèce, le juge relève que les 29 personnes vivant sur le terrain doivent se rendre à une borne d’incendie non équipée située à 900 mètres pour accès à l’eau ce qui ne leur permet pas de pratiquer les gestes barrières tels que le lavage régulier des mains, et qu’à défaut de système de collecte, les ordures s’amoncellent sur le terrain occasionnant l’arrivée de rats. Le juge retient donc que : « Dans ces circonstances, les conditions dans lesquelles les requérants sont amenés à vivre au quotidien méconnaissent les garanties élémentaires en matière d’hygiène et de salubrité, ces derniers ne disposant en outre d’aucun dispositif sanitaire. » La prise en compte des autorités publiques est, selon le juge, insuffisante au regard de l’alimentation en eau, de l’hygiène et de la salubrité.
Cet état de fait révèle selon le juge « une carence de nature à exposer ces personnes, de manière caractérisée, à des traitements inhumains et dégradants, portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à la dignité humaine. » Le juge enjoint donc à la commune et au préfet de prendre les mesures nécessaires pour fournir l’accès à l’eau potable et à l’assainissement des personnes jusqu’à la fin du confinement.
TA Paris, ordonnance n° 2007535 du 5 juin 2020
Des personnes sans abri et de nationalité étrangère vivant le long du canal Saint-Denis, situé entre Paris, Saint-Denis et Aubervilliers, forment un référé liberté avec l’appui de 16 associations contre deux préfets, deux communes et un établissement public territorial. Après avoir retenu la condition d’urgence, le juge rappelle que le droit à l’hébergement d’urgence doit être mis en œuvre par les autorités de l’Etat. En l’espèce cependant, le juge estime qu’il n’y a pas de carence pouvant révéler une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale, compte tenu des diligences accomplies par l’administration en tenant compte des moyens dont elle dispose.
Concernant la demande subsidiaire, le juge relève que pour les trois lieux concernés, l’absence d’accès à l’eau potable et à l’assainissement ainsi qu’à la collecte des déchets, révèle une carence de nature à exposer les personnes à des traitements inhumains et dégradants et portant une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. Quant à la responsabilité vis-à-vis de cette carence, le juge relève qu’elle pèse non seulement sur les communes au titre de leur pouvoir de police générale, mais également sur l’établissement public territorial au titre de sa compétence en matière de gestion de l’eau. Il les enjoint donc à installer tous les équipements nécessaires seulement pour la période d’état d’urgence sanitaire. Il enjoint parallèlement le préfet à distribuer le matériel nécessaire à la prévention de la contamination au Covid-19.
TA Cergy-Pontoise, ordonnance n° 2004913 du 22 juin 2020
Une dizaine de familles vivent sur un terrain sans accès à l’eau potable et à l’assainissement. L’une des familles forme un référé liberté afin d’obtenir entre autres le raccordement à l’eau. Le juge relève que les habitants dorment dans des « cabanons d’infortune », que le terrain est situé près de lignes à haute tension, et qu’il ne dispose pas de raccordement à l’eau potable, de toilettes ni de latrines, et que : « Ces circonstances de fait qui durent depuis plusieurs mois sans que les défendeurs indiquent seulement avoir tenté une expulsion ou un relogement, révèlent tout à la fois une situation d’urgence caractérisée et une carence des autorités titulaires du pouvoir de police, susceptible de porter une atteinte grave et manifestement illégale à la dignité de la trentaine de personnes concernées. » Le juge enjoint au préfet et au maire de procéder soit au raccordement à l’eau potable, soit à l’installation d’une citerne, et à l’installation de toilettes. Il rejette toutefois la demande relative à la collecte des déchets puisque des conteneurs ont été installés durant le confinement, et celle relative à l’installation de douches, en retenant que : « […] à partir du moment où les requérants disposent d’un accès à l’eau potable, il n’y a pas lieu d’enjoindre à l’administration d’installer également des cabines de douches. »
CE, 21 juin 2019, n° 431115
Depuis une décennie, de nombreuses personnes vivent à Grande-Synthe. Les autorités publiques évacuent régulièrement des terrains et proposent des lieux d’hébergement non pérennes hors de la ville. Ces personnes se sont donc installées dans les bois de Puythouck et autour d’un gymnase ouvert par la ville. Des associations et occupants ont saisi le juge administratif d’un référé liberté afin qu’il soit enjoint au préfet de mettre en place dans la commune un dispositif d’hébergement d’urgence adapté aux personnes, de suspendre les expulsions, d’installer des points d’eau et des sanitaires sur les sites, de mettre en œuvre des distributions de repas et des maraudes d’informations. Le juge du tribunal administratif de Lille ayant rejeté leurs demandes, un appel est interjeté.
Quant aux conditions de vie, le Conseil d’Etat reconnait à Grande-Synthe : « un afflux massif de migrants en provenance de l’ensemble du territoire » excédant les pouvoirs de police générale du maire. Constatant la carence des autorités dans l’accès à l’eau, à l’hygiène et aux sanitaires, il enjoint au préfet d’installer, dans un délai de 8 jours, des points d’eau, des cabines de douches et des sanitaires en nombre suffisant.
TJ Bordeaux, ordonnance du 22 juin 2020
Le juge a pu rappeler, à l’occasion d’un litige concernant la procédure d’expulsion et plus précisément l’allégation de trouble à l’ordre public que : « l’eau et l’électricité sont des fluides indispensables à la vie humaine en milieu urbain, et les branchements constatés, pour dangereux et illicites qu’ils soient, répondent à des besoins vitaux. » Le juge décide de rétracter l’ordonnance d’expulsion et accorde un délai jusqu’au 1er mars 2021 aux demandeurs, durant lequel la préfecture pourra mettre en place des mesures de recensement et d’accompagnement social.
III. Le droit au raccordement provisoire à l’électricité
Cette question du raccordement provisoire à l’électricité se pose notamment pour les résidences mobiles telles que les caravanes :
Conseil d’Etat, 12 décembre 2003, n° 257794
« Considérant que le juge des référés n’a, eu égard à son office, pas commis d’erreur de droit en jugeant que le moyen tiré de ce que le maire de Saint-Laurent-de-Mure n’avait pas compétence pour s’opposer au raccordement du terrain de M. A. au réseau d’électricité n’était pas, en l’état de l’instruction, de nature à créer un doute sérieux sur la légalité de la décision litigieuse en tant qu’elle concerne le raccordement sollicité à titre définitif ; qu’en revanche, en jugeant que le même moyen n’était pas de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de la décision litigieuse en tant qu’elle interdit également le raccordement provisoire du terrain de M. A. au réseau de distribution électrique, le juge des référés a entaché son ordonnance d’erreur de droit ; qu’ainsi M. A. est fondé à demander l’annulation de ladite ordonnance en tant qu’elle concerne sa demande de raccordement provisoire. »
En ce qui concerne la durée du branchement, le Conseil d’État a par exemple admis un branchement pour la durée de l’hiver, en raison du caractère d’urgence lié aux conditions de vie des occupants d’une caravane (CE, 9 avril 2004, Commune de Caumont-sur-Durance). Au vu de cette jurisprudence, un branchement peut être considéré comme provisoire lorsqu’il est demandé pour une raison particulière et une période limitée (saison froide, durée d’un chantier ou encore attente de reconstruction d’une habitation détruite), bien que la durée de l’installation ne puisse être connue avec précision. La durée du branchement provisoire est liée à celle de la situation ayant motivé la demande. » (Réponse du ministère de l’écologie, du développement durable, des transports et du logement à la question écrite n° 16811, JO Sénat, 5 janvier 2012).
Dans un avis contentieux, le Conseil d’État CE, avis, 7 juillet 2004, n° 266478 a estimé qu’en vertu de l’article L. 111-6 du Code de l’urbanisme le maire d’une commune pouvait s’opposer au raccordement définitif au réseau de distribution d’électricité si des caravanes mobiles sont stationnées irrégulièrement soit au regard des règles du Code de l’urbanisme, soit de celles relatives à l’occupation des sols.
Il affirme également que : « Les caravanes posées sur le sol ou sur des plots de fondation et n’ayant, de ce fait, pas conservé leur mobilité doivent, pour leur part, être regardées comme des maisons légères d’habitation. » Par conséquent, elles entrent dans le champ d’application de l’article L. 111-6 du Code de l’urbanisme et le maire « tient donc de ce dernier le pouvoir de s’opposer à leur raccordement définitif au réseau de distribution d’électricité si elles n’ont pas fait l’objet d’un permis de construire. »
Néanmoins : « La circonstance qu’une caravane serait stationnée irrégulièrement au regard des dispositions relatives à l’utilisation des sols n’est pas de nature, par elle-même, à justifier légalement un arrêté par lequel le maire s’opposerait, sur le seul fondement des pouvoirs de police générale qu’il tient de l’article L. 2212-2 du Code général des collectivités territoriales, au raccordement au réseau de distribution d’électricité sollicité par ses occupants. »
CE, 9 avril 2004, commune de Caumont-sur-Durance, n° 261521
« Considérant, d’autre part, que le juge des référés n’a pas commis d’erreur de droit en déduisant de ce que Mme X. vit avec son concubin et l’un de ses enfants dans les caravanes stationnées sur le terrain dont elle a demandé le raccordement au réseau de distribution électrique et eu égard aux effets de la décision attaquée sur les conditions de vie de la requérante, alors même que le stationnement de ces caravanes serait irrégulier, que la condition d’urgence définie à l’article L. 521-1 du Code de justice administrative précité doit être regardée comme satisfaite. »
Le Conseil d’État a retenu la notion de caractère d’urgence pour motiver l’annulation d’un refus de raccordement au réseau EDF, eu égard aux conditions de vie des occupants d’une caravane installée irrégulièrement.
TGI Villefranche-sur-Saône, 18 juin 2018, n° 18/00066
Une famille a installé sa caravane sur un terrain dont elle est propriétaire. Elle bénéficie depuis 2013 d’un raccordement provisoire en électricité. En février 2013, la société lui a fait part de la nécessité de mettre fin au branchement à la demande du maire. En avril 2018, elle procède, sans préavis, à la dépose du compteur. La famille saisit le TGI en référé. Le juge estime tout d’abord que « le maire d’une commune n’a pas, conformément aux textes […], le pouvoir tant d’autoriser que de suspendre un raccordement provisoire, […] ; Attendu que l’article L. 121-1 du Code de l’Energie […], matérialise le droit de tous à l’électricité, produit de première nécessité, et impose que le service public de l’électricité soit géré dans le respect des principes d’égalité, de continuité et d’adaptabilité dans les meilleures conditions de sécurité, de qualité, de coûts, de prix, efficacité sociale et énergétique, […]. Que la prétention suivant laquelle l’autorisation de raccordement avait atteint son terme n’est soutenue par aucune pièce, étant rappelé en outre qu’un raccordement provisoire est mis en œuvre depuis l’année 2013, sans aucune difficulté et avec paiement de toutes les factures par M. et Mme X. Qu’en outre, il sera rappelé que la Loi a reconnu le caractère essentiel de l’accès aux réseaux d’eau et d’électricité.
Que toute suspension porte de fait une atteinte aux droits fondamentaux des personnes, soit la caractérisation d’un trouble manifestement illicite […]. »
IV. Protection de la salubrité publique
La Cour européenne des droits de l’Homme, lors de l’examen de proportionnalité de la mesure d’expulsion, examine s’il n’y a pas d’autres moyens moins contraignants pour remédier aux problèmes de salubrité allégués.
Par un arrêt du 24 avril 2012, elle a considéré que si la plupart des maisons des requérants ne répondaient pas aux normes de construction et aux normes sanitaires de base, l’expulsion de leurs habitants n’en était pas moins contraire à la Convention européenne des droits de l’Homme. En effet, le gouvernement n’a pas montré que d’autres moyens de résoudre ces problèmes aient été sérieusement étudiés, par exemple en légalisant les constructions , en installant des canalisations pour l’arrivée d’eau potable et l’évacuation des eaux usées et en fournissant une assistance pour la recherche de logement lorsque l’expulsion était nécessaire (CEDH, 24 septembre 2012, Yordanova et autres c/Bulgarie – 25446/06 ; point 125).
En France, les collectivités territoriales, notamment les communes, sont soumises à certaines obligations. Elles doivent, entre autres, organiser l’élimination des déchets ménagers (Code général des collectivités territoriales, article L. 2224-13).
Il faut interpeller les pouvoirs publics locaux pour obtenir des bennes, des containers, des sacs-poubelles, et la collecte des déchets afin de pouvoir motiver par la suite une carence quant à l’obligation relative à la salubrité publique pesant sur les communes.
En vertu de l’article L. 2212-1 du Code général des collectivités territoriales, le maire doit veiller, au moyen de ses pouvoirs de police, à protéger l’ordre public. La protection de l’ordre public consiste pour le maire à assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques dans sa commune. C’est dans le cadre de ces pouvoirs généraux qu’il est possible de demander à la commune de faire le nécessaire pour chasser les animaux nuisibles (rats ou autres rongeurs) qui peuvent porter atteinte à la salubrité publique.
Si la commune refuse ou ne répond pas au courrier, il est nécessaire de prévoir d’entreposer et de ramasser régulièrement les ordures ménagères avec si possible des preuves photographiques (voir Expulsions de terrain : sans titre mais pas sans droits).
TGI Créteil, 23 avril 2013, n° 13/00149
« Il n’est pas non plus démontré que divers déchets seraient présents sur toute la parcelle dès lors que la véracité de cette allégation ne ressort pas des photographies versées aux débats et qu’il apparaît que les ordures ménagères sont régulièrement ramassées et entreposées dans des sacs-poubelles remis par la police municipale. À cet égard, il doit être relevé que l’association MRAP a, par courrier du 18 janvier 2013, sollicité que la mairie de Vitry-sur-Seine mette à disposition des containers à ordures et qu’il n’a pas été fait droit à cette demande. »
CE, ordonnance du 23 novembre 2015, n° 394540, et n° 394568
Il résulte de l’instruction « qu’aucun ramassage des ordures n’est réalisé à l’intérieur du centre. » ; que les cinq bennes à ordures installées à la périphérie du site ne sont pas utilisées en raison de leur éloignement, que les occupants du site ont créé des points de collecte matérialisés par des trous creusés à une profondeur d’un mètre, dans lesquels les déchets sont brûlés, dégageant ainsi des fumées et des odeurs nauséabondes, que le site est envahi par les rats et, enfin, que ni les eaux usées ni les excréments des « toilettes sauvages » ne sont évacués ; que « même si des bennes à ordures ont été ajoutées et des ramassages supplémentaires effectués depuis l’intervention de l’ordonnance attaquée, les migrants vivant sur le site de La Lande sont ainsi exposés à des risques élevés d’insalubrité.» Ces éléments font ainsi apparaître que : « la prise en compte par les autorités publiques des besoins élémentaires des migrants vivant sur le site en ce qui concerne leur hygiène et leur alimentation en eau potable demeurent manifestement insuffisante et révèle une carence de nature à exposer ces personnes, de manière caractérisée, à des traitement inhumains ou dégradants, portant ainsi atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale. »
TA Lille, ordonnance n° 2101928 du 26 mars 2021
Une commune forme un référé mesures utiles visant à obtenir l’expulsion avec le concours de la force publique de personnes vivant sur un terrain appartenant au domaine public depuis le mois de juillet 2020.
Le juge relève que contrairement à ce que prétend la commune, l’occupation ne porte pas atteinte à la salubrité publique car le site est en bon état de propreté, qu’aucune présence de nuisibles n’est attestée, que des associations approvisionnent les habitants en eau et en nourriture plusieurs fois par jour et ont installé des sanitaires à proximité. Il ajoute qu’une pièce du dossier atteste que le ramassage des déchets sur le site n’a représenté que 5% du temps de travail des agents de nettoyage du secteur en 2020. Le juge rejette donc la demande de la commune.
Le juge s’est également prononcé sur l’installation de bennes à ordures dans des décisions mentionnées dans la partie sur le droit à l’eau. Voir notamment :
TA Melun, ordonnances n° 2003045, n° 2003047, n° 2003048 du 20 avril 2020,
V. Le droit à l’hébergement et la recherche d’une solution de relogement
L’existence ou l’absence de diagnostic, et de propositions d’hébergement ou de relogement est généralement prise en compte dans l’appréciation de la légalité de l’expulsion.
La circulaire interministérielle du 25 janvier 2018 « visant à donner une nouvelle impulsion à la résorption des campements illicites et des bidonvilles » renvoie à la circulaire interministérielle du 26 août 2012 afin de rappeler qu’il est essentiel qu’un diagnostic soit réalisé avant toute opération d’expulsion ou d’évacuation. Certaines décisions renvoient à la nécessité de réaliser ce diagnostic afin de proposer des solutions aux habitants. Le juge a même été amené à rappeler que ce diagnostic est une application des obligations européennes et internationales de la France.
TGI Bordeaux, 11 juin 2018, n° 18/00719
« La circulaire interministérielle du 26 août 2012, en ce qu’elle impose aux autorités préfectorales de procéder à un diagnostic des campements précaires, de la situation des personnes présentes, et de leurs perspectives d’intégration, est une application des obligations résultant de l’article 3 alinéa 1er de la Convention internationale des droits de l’enfant. Elle est également une application de l’article 8 de la CEDH sur le respect de la vie privée et familiale et du droit au domicile. »
TJ de Bordeaux, 22 juin 2020, n° 20/00254
Après avoir constaté, au regard de la situation des occupants, que leur « expulsion immédiate et sans mesure d’accompagnement […] serait donc disproportionnée et constituerait une atteinte à la dignité humaine plus grave que l’atteinte à la propriété immobilière », le juge fait mention de la circulaire du 26 août 2012. Cette dernière « s’adresse aux préfets de région et aux préfets, et a pour objet de préciser le cadre d’action de l’Etat dans le cas d’évacuation de campements illicites, ainsi que le dispositif de coordination des acteurs locaux à mettre en œuvre autour du préfet ».
Le juge estime que « cette circulaire […] invite les préfets à mettre en œuvre les principes de dignité et d’humanité, notamment lorsque le propriétaire […] requiert le concours de la force publique. Elle invite également les préfets à mettre à profit le délai entre l’installation des personnes, la décision de justice, et l’octroi du concours de la force publique, pour mettre en place un travail coopératif visant à « dégager pour les personnes présentes […] des solutions alternatives. » Elle invite enfin les préfets, dès qu’ils ont connaissance d’un campement, à procéder à une « première évaluation au regard de la sécurité des personnes » et à mettre en place un suivi des personnes. »
Prenant acte de l’engagement du Préfet à procéder à un recensement et à un diagnostic social dans une pièce produite par le propriétaire, le TJ accorde donc un délai aux occupants, lequel « sera mis à profit pour permettre le recensement de la population du campement, son évaluation sociale, et l’élaboration de propositions d’accompagnement. »
TA Montreuil, 14 octobre 2020, n° 2010726
Des familles vivant sur un terrain situé à proximité d’une autoroute et appartenant au domaine public, sont mises en demeure par arrêté municipal de quitter les lieux sous 24h. Le tribunal juge que l’arrêté porte « une atteinte grave et manifestement illégale à la vie privée et familiale du requérant et des autres occupants du campement, ainsi qu’à leur droit à un domicile, dès lors qu’il ressort des pièces du dossier et des déclarations faites à la barre par le conseil de la commune défenderesse que l’évacuation est prévue sans mise en œuvre du diagnostic et des mesures d’accompagnement prévus par la circulaire interministérielle du 26 août 2012[16], de sorte que les occupants risquent de se retrouver à la rue, et ce dans un contexte sanitaire qui se dégrade fortement depuis quelques jours, et sans que cette mesure évite que le campement ne se reconstitue ailleurs. »
Le tribunal suspend l’exécution de l’arrêté pris par le maire de la commune « jusqu’à ce qu’un diagnostic ait été établi et des mesures d’accompagnement proposées aux occupants du campement selon les préconisations de la circulaire interministérielle du 26 août 2012. »
Le droit à l’hébergement d’urgence doit en principe être considéré comme inconditionnel, le seul critère devant étant celui de la détresse sociale, médicale ou psychique (art. L. 345-2-2 du CASF). Aucune exigence particulière ne devrait être invoquée pour contourner l’obligation générale d’accueil. Notamment, l’aide sociale à l’hébergement ne devrait pas requérir la régularité du séjour sur le territoire. Toutes les personnes, sans discrimination, doivent pouvoir être informées, accueillies et orientées. Le juge des référés du Conseil d’État a précisé dans son arrêt du 10 février 2012 que peut constituer une atteinte grave à une liberté fondamentale la méconnaissance des obligations législatives relatives à l’hébergement d’urgence des personnes sans abri. Il consacre ainsi le droit à l’hébergement comme liberté fondamentale et son corollaire le droit au maintien en hébergement d’urgence. Cependant, la jurisprudence a progressivement restreint ce droit qui est en pratique peu reconnu actuellement.
CE, 10 février 2012, n° 356456
« Considérant qu’il appartient aux autorités de l’État de mettre en œuvre le droit à l’hébergement d’urgence reconnu par la loi à toute personne sans abri qui se trouve en situation de détresse médicale, psychique et sociale ; qu’une carence caractérisée dans l’accomplissement de cette tâche peut, contrairement à ce qu’a estimé le juge des référés de première instance, faire apparaître, pour l’application de l’article L. 521-2 du Code de justice administrative, une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale lorsqu’elle entraîne des conséquences graves pour la personne intéressée ; qu’il incombe au juge des référés d’apprécier dans chaque cas les diligences accomplies par l’administration en tenant compte des moyens dont elle dispose ainsi que de l’âge, de l’état de la santé et de la situation de famille de la personne intéressée. »
Par cet arrêt, le Conseil d’État consacre ainsi au rang de liberté fondamentale un nouveau droit créance, distinct du droit au logement[17], et issu de sources à valeur législative[18]. La question du respect du droit à l’hébergement d’urgence se pose évidemment dans le cadre de l’expulsion de terrains et de squats. Le juge des référés de Lyon a repris le même considérant :
TA Lyon, juge des référés, 4 avril 2013, n° 1302164
TA Nantes, 19 septembre 2018, n° 1808527
Plus de 600 personnes migrantes, adultes et mineurs isolés ont investi le square Daviais, après avoir fait l’objet de plusieurs mesures d’expulsion d’autres lieux. Un collectif d’associations et 10 requérants individuels ont saisi le juge administratif d’un référé liberté afin que ce dernier enjoigne à l’État, à l’Office français de l’immigration et de l’intégration (OFII), à la commune de Nantes, à Nantes Métropole, au Centre communal d’action sociale de Nantes et à l’Agence régionale de santé des Pays de la Loire de mettre en œuvre des mesures afin de faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées aux libertés fondamentales des personnes concernées se trouvant sur ce site, parmi lesquelles le droit d’asile, le droit à l’hébergement d’urgence et le droit de ne pas être soumis à des traitements inhumains ou dégradants.
La ville de Nantes saisit également le tribunal administratif afin de demander l’expulsion de ces personnes, et propose, à titre provisoire, de les mettre à l’abri, quelle que soit leur situation administrative. Après avoir constaté les conditions de vie indignes, il enjoint à l’État et à l’OFII, dès l’arrivée des personnes sur les différents sites mis à disposition par la commune, de les prendre en charge dans un délai de 48h, de procéder à leur recensement, d’identifier les personnes vulnérables et les mineurs isolés, de mettre en place un dispositif d’accès aux soins médicaux et de les accompagner dans leurs démarches administratives. Enfin le juge enjoint encore à l’État et à l’OFII « d’orienter, dès que possible, les personnes migrantes concernées vers des dispositifs d’accueil, correspondant à leur situation administrative, ouverts sur le territoire français, dans lesquels des places sont disponibles et d’en organiser le départ depuis la commune de Nantes. »
TA Mayotte, 17 décembre 2018, n° 1801909
80 familles (100 adultes et 180 enfants) vivant dans des cabanes sur des terrains privés, ont été violemment expulsés les 12 et 13 décembre 2018, sans qu’aucun diagnostic n’ait été réalisé et aucune solution d’hébergement n’ait été proposée. Plusieurs personnes se sont retrouvées les jours suivants dans un état de santé préoccupant, voire hospitalisées. Saisi en référé liberté, le juge a relevé « une atteinte grave et manifestement illégale – cette illégalité était notamment constituée au regard de l’article L. 345-2-2 du Code de l’action sociale et des familles – aux libertés fondamentales que sont la dignité de la personne humaine et l’interdiction des traitements inhumains et dégradants », ainsi qu’à l’intérêt supérieur de l’enfant, et enjoint au préfet, « sous astreinte de 1 000 € par jour de retard, de proposer […] une solution concrète de relogement ou d’hébergement d’urgence dans un délai de 48h », de mettre à disposition immédiatement, dans cette attente, un accès à l’eau potable et à des sanitaires, et de fournir du matériel pour leur mise à l’abri.
CE, 21 juin 2019, n° 431115
Concernant la mise en place d’un hébergement d’urgence dans la commune de Grande-Synthe, le Conseil estime : « qu’il ne relève pas de l’office du juge des référés de remettre en cause le choix de l’Etat de traiter la situation des migrants présents à Grande-Synthe en les prenant en charge […] dans des structures adaptées à leur situation en dehors du territoire de la commune. »
Progressivement la jurisprudence du Conseil d’Etat est devenue plus restrictive vis-à-vis du droit à l’hébergement d’urgence, notamment par une remise en cause de son caractère inconditionnel se traduisant par un refus d’accorder ce droit à des personnes en raison de leur situation administrative.
Pour aller plus loin, voir l’analyse jurisprudentielle “Le principe de l’accueil inconditionnel au regard de la jurisprudence 2012-2018 ”, Jurislogement.
Voir également TRIBOLO J., “ La crise migratoire dans le Calaisis : de quelques usages de la police administrative”, RFDA 2021, p.547.
La Cour européenne des droits de l’Homme a eu l’occasion de condamner la France pour traitement inhumain et dégradant de demandeurs d’asile, en ce que les autorités ont laissé durant plusieurs mois les requérants sans ressources et sans hébergements. Cette décision a notamment été saluée par le Défenseur des droits, qui était intervenu comme tiers intervenant dans la procédure. Il convient néanmoins de souligner que cette décision concerne des demandeurs d’asile, que la Cour considère donc comme se trouvant dans une situation de particulière vulnérabilité.
CEDH, arrêt N.H et autres c. France du 2 juillet 2020, requêtes n° 28820/13, 7554/13 et 13114/15
Des demandeurs d’asile ont dû vivre à la rue et sans ressources pour subvenir à leurs besoins essentiels durant plusieurs mois en raison « des lenteurs administratives les empêchant d’accéder aux conditions d’accueil prévues par le droit[19].» Après épuisement des voies de recours internes, ils saisissent la Cour arguant à la fois de cette impossibilité d’accéder à une prise en charge matérielle et financière, mais également de l’indifférence des autorités à leur égard. En l’espèce, le droit national transposant la Directive “Accueil”, prévoyait que les autorités disposaient d’un délai de 15 jours pour enregistrer sa demande à compter du jour de son dépôt, délai qui en réalité était en moyenne de trois à cinq mois selon les préfectures. Les requérants ont ainsi respectivement attendu entre trois et quatre mois l’enregistrement de leur demande, et ont continué de dormir dans la rue durant toute la procédure d’asile qui a duré entre six et neuf mois en moyenne.
La Cour note que l’offre d’hébergement d’urgence était insuffisante et souvent réservée aux familles avec enfants mineurs. Elle ajoute que le bénéfice de l’allocation temporaire d’attente pour les demandeurs d’asile était conditionné par l’obtention d’une autorisation de séjour au titre de l’asile mais également à une preuve de dépôt de demande devant l’OFPRA. En attendant, ceux-ci n’étant pas autorisés à exercer une activité professionnelle, ils étaient entièrement dépendants de la prise en charge prévue par le droit national. Dans ces conditions, la Cour relève que « les requérants ont été victimes d’un traitement dégradant témoignant d’un manque de respect pour leur dignité et que cette situation a, sans aucun doute, suscité chez eux des sentiments de peur, d’angoisse ou d’infériorité propres à conduire au désespoir. » Ces conditions d’existence, combinées avec l’absence de réponse adéquate des autorités pourtant alertées à plusieurs reprises sur leur impossibilité de pourvoir à leurs besoins essentiels, et « le fait que les juridictions internes leur ont systématiquement opposé le manque de moyens dont disposaient les instances compétentes au regard de leurs conditions de jeunes majeurs isolés, en bonne santé et sans charge de famille, ont atteint le seuil de gravité requis par l’article 3. » La Cour condamne l’Etat à la réparation du préjudice matériel d’un des requérants, et du préjudice moral de trois des requérants, à hauteur d’environ 10 000 €.
Lorsque les juges apprécient l’opportunité d’accorder des délais aux habitants ou l’opportunité d’accorder l’expulsion, dans le cadre généralement d’un examen de proportionnalité, ils mettent parfois en avant la nécessaire recherche de solution adaptée de relogement pour les personnes par la puissance publique.
TGI Nantes, 15 octobre 2012, n° 12/04352
« En effet, au-delà de la justification de la scolarisation des enfants et de la fragilité de l’état de santé de leur père, la situation précaire des membres de la communauté est connue et à n’en point douter, la solution de leur relogement relève de l’État ou des instances européennes ou internationales. Cependant, pour permettre de sauvegarder la dignité des personnes expulsées conformément à l’esprit de la charte sociale européenne et au respect des principes fondateurs de la république sur l’égal traitement des personnes en situation de détresse sociale, l’octroi d’un délai de rémission est impératif. Il est en effet nécessaire de laisser à la puissance publique et notamment à l’autorité préfectorale, le temps d’apporter une réponse adaptée et de dégager une solution alternative comme le préconise la circulaire interministérielle du 26 août 2012 […]. »
CEDH, 17 octobre 2013, Winterstein et autres c./France, n° 27013/07
« La Cour souligne à cet égard que de nombreux textes internationaux ou adoptés dans le cadre du Conseil de l’Europe insistent sur la nécessité, en cas d’expulsions forcées de Roms et gens du voyage, de leur fournir un relogement, sauf en cas de force majeure : c’est le cas de la recommandation (2005)4) du Comité des Ministres, de la résolution 1740(2010) de l’Assemblée parlementaire et du Document de synthèse du Commissaire aux Droits de l’Homme du 15 septembre 2010 […] et, sur un plan plus général, de l’observation générale n°7 du Comité des Droits économiques, sociaux et culturels des Nations unies […]. »
TGI Créteil, 23 avril 2013, n° 13/00149
Des familles Roms occupaient un terrain appartenant à l’EPIC Réseau français de France. Le juge affirme que le droit au logement et le droit à mener une vie privée et familiale normale peut justifier une atteinte au droit de propriété. « C’est ainsi qu’apparaît que l’atteinte au droit de propriété – qui en l’espèce est celui d’une personne morale et non celui d’un individu – est justifiée par l’exercice du droit au logement, lequel est consacré par des textes nationaux et internationaux dont les dispositions de l’article 25-1 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme et le droit au logement opposable issu de la loi 2007-290 du 5 mars 2007. L’atteinte au droit de propriété est également justifiée par le droit de mener une vie familiale normale (article 8 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme) [sic – en réalité il s’agit de l’article 8 de la CEDH] et par l’intérêt supérieur des enfants Roms (article 3-1 de la Convention internationale relative aux droits de l’enfant). Il s’ensuit qu’il est constant qu’une expulsion sans solution de relogement aurait pour effet de porter une atteinte disproportionnée au droit de mener une vie privée et familiale normale. »
TI Boissy-St-Léger, 17 octobre 2013, n° 12-13-000459
Le juge ne reconnaît pas le trouble manifestement illicite ni l’urgence de l’évacuation du terrain occupé par des familles Roms au regard du droit au logement et du droit à une vie privée et familiale normale ; et ainsi rejette la demande de référé-expulsion. « […] il n’est pas contesté que l’occupation par les défendeurs du terrain appartenant à la SNCF, constitue une atteinte au droit de propriété, il est constant qu’une expulsion sans solution de relogement de plusieurs familles de Roms comprenant une dizaine d’enfants non scolarisés aurait pour effet de porter une atteinte disproportionnée tant à l’exercice du droit au logement qu’au droit à mener une vie privée et familiale normale et à l’intérêt supérieur des enfants Roms. »
CA Douai, arrêt n° RG 20/01520 du 8 avril 2021
La Cour infirme partiellement l’ordonnance et accorde un délai de 6 mois aux habitants pour quitter les lieux, estimant que : « le relogement des appelants ne peut avoir lieu dans des conditions normales. » A ce titre elle note que 37 personnes sont installées sur le terrain depuis septembre 2019, que les enfants sont scolarisés et enfin que certains des appelants bénéficient d’un diagnostic SIAO et ont sollicité le dispositif d’hébergement d’urgence en octobre 2019.
TJ Evry, ordonnance n° RG21/00862 du 1er octobre 2021
Le juge prononce l’expulsion des défendeurs mais leur accorde le bénéfice de la trêve hivernale ainsi qu’un délai de 3 mois pour quitter les lieux à compter du 1er avril 2022. Il retient que la commune ne démontre pas que l’expulsion pourra mener à un relogement des personnes dans des conditions normales alors qu’elle reconnaît que les enfants des défendeurs sont scolarisés, ajoutant que : « Ainsi, l’intérêt des enfants justifie qu’ils puissent terminer leur année scolaire 2021/2022 dans les conditions les plus stables et sereines, malgré leur situation de précarité. »
[1] Circulaire interministérielle du 26 août 2012 prévoyant la mise en œuvre de mesures de diagnostic et d’accompagnement social en matière d’hébergement, de scolarisation et en matière sanitaire
[2] Effondrement de terrain dû par exemple à la déliquescence d’une galerie souterraine
[3] En l’espèce, un rapport d’huissier, un rapport du service communal d’hygiène
[4] Circulaire interministérielle du 26 août 2012 prévoyant la mise en œuvre de mesures de diagnostic et d’accompagnement social en matière d’hébergement, de scolarisation et en matière sanitaire
[5] Au sens de l’arrêt Hirtu contre France, n° 2470/13 du 14 mai 2020 (§66) (voir supra p.16)
[6] Conseil d’Etat, 11 mai 2001, Commune de Loches, n° 231802
[7] Circulaire interministérielle du 26 août 2012 prévoyant la mise en œuvre de mesures de diagnostic et d’accompagnement social en matière d’hébergement, de scolarisation et en matière sanitaire
[8] Effondrement de terrain dû par exemple à la déliquescence d’une galerie souterraine.
[9] Sur cette question, voir notamment : « Loi ELAN – bidonvilles / squats : quels changements pour la trêve hivernale et les délais ? »
[10] CE, Soc., 6 mars 2009, Coulibaly : « Sous réserve de dispositions législatives ou règlementaires contraires, et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, l’Administration ne peut retirer ou abroger une décision expresse individuelle créatrice de droits que dans le délai de quatre mois suivant l’intervention de cette décision et si elle est illégale. »
[11] TRUCHET D., Droit administratif, 5e éd., PUF
[12] Pacte international relatif aux droits économiques sociaux et culturels de 1966
[13] « 2.2. Les Etats parties au présent Pacte s’engagent à garantir que les droits qui y sont énoncés seront exercés sans discrimination aucune fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l’opinion politique ou toute autre opinion, l’origine nationale ou sociale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ».
[14] « 11. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris une nourriture, un vêtement et un logement suffisants, ainsi qu’à une amélioration constante de ses conditions d’existence. Les Etats parties prendront des mesures appropriées pour assurer la réalisation de ce droit et ils reconnaissent à cet effet l’importance essentielle d’une coopération internationale librement consentie. ».
[15] Combinaison des articles L. 511-1 et L. 521-2 du CJA
[16] Circulaire interministérielle du 26 août 2012 prévoyant la mise en œuvre de mesures de diagnostic et d’accompagnement social en matière d’hébergement, de scolarisation et en matière sanitaire
[18] RIHAL H., “Hébergement d’urgence et aide sociale à l’enfance, la répartition des compétences entre l’Etat et le conseil Départemental”, AJDA 2016 p.38
[19] Note d’information sur la jurisprudence de la Cour 241, Juin 2020